Page:Reid - Aventures de terre et de mer, Hetzel, 1891.djvu/30

Cette page n’a pas encore été corrigée

— Eh bien donc, adieu ! » dit Juliette. Toutefois, malgré sa déconvenue, elle lui tendit la main.

Une autre voix se fit entendre :

« Adieu, monsieur Armstrong, dit à son tour Nettie au jeune homme. Rappelez-vous que vous avez aux Beeches une amie dévouée. »

Armstrong s’éloigna, le cœur gonflé de soupirs.


CHAPITRE III
UNE DRÔLE DE MAISON

Cette nuit, si calme et si fraîche à West-Point, était à New-York d’une lourdeur accablante.

C’était une de ces soirées typiques d’un été à New-York, pendant lesquelles on pourrait se croire transporté tout à coup au Caire ou à Calcutta.

Au milieu de ce silence d’une grande ville accablée, le train de nuit d’Albany vint tout à coup jeter une note bruyante.

Une douzaine de passagers au plus mirent pied à terre sur la plate-forme. De ce nombre étaient Mac Diarmid et son compagnon Evan Roy, qui, sans répondre un mot aux offres engageantes de deux ou trois cochers attardés, prirent à pied le chemin de Lexington Avenue. Ils s’arrêtèrent bientôt devant une grande maison de pierre, la seule dont le vestibule fût encore éclairé à deux cents pas à la ronde.

Evan Roy sonna, et aussitôt la large face d’un domestique nègre en cheveux blancs s’encadra dans la porte, pour s’illuminer d’un sourire en reconnaissant Mac Diarmid.

« Entrez, massa, entrez, notre Chef ! dit-il en roulant de gros yeux humides de tendresse et de joie.

— Comment va ma mère ? fut le premier mot du jeune homme.

— Madame va bien, mais mademoiselle n’a pas pu la décider encore à sortir. Elle préfère se promener dans le jardin et dit que le spectacle d’une rue civilisée la rend malade. »

Mac Diarmid eut un rire amer.

« Elle a raison, mon vieux Joe ! s’écria-t-il d’une voix stridente. Quel bien la civilisation de ce malheureux pays a-t-elle jamais fait, soit à elle, soit aux siens ? »

Le vieux nègre ne répondit pas. Il s’inclina simplement pour laisser passer le jeune homme dans la pièce voisine, où Evan Roy le suivit, non sans avoir échangé avec Joe un regard attristé.

C’était un grand salon meublé richement, mais avec une magnificence à demi sauvage. Sur la table, au milieu d’un magnifique tapis de brocard rouge, on voyait épars un fusil des plus communs, un ceinturon garni de revolvers, des boîtes à cartouches, un plateau chargé de verres et de flacons.

À peine Mac Diarmid fut-il entré, que son œil s’arrêta sur le plateau. Il se mit à rire et, donnant une tape amicale sur l’épaule du vieux Joe :

« Hurra ! fit-il. La civilisation a du bon, après tout. Elle a inventé le whisky. Buvons donc à la civilisation ! »

Il s’était emparé d’un grand flacon et l’élevait avec une sorte d’emportement au niveau de ses yeux.

« Moi, John Logan Mac Diarmid ici présent, reprit-il, l’héritier de deux lignes de chefs et d’une fortune qui ne doit rien à personne, je déclare que je vais faire ce soir à la civilisation l’honneur de me griser abominablement en son honneur ! Au diable West-Point et son Académie !… Au diable l’armée fédérale !… Ils m’ont refusé l’épée qui pouvait leur servir. Tant pis pour eux. Par le ciel ! je leur mon-