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moins estimées que les défenses de l’éléphant, celles de l’hippopotame se vendent encore un bon prix.

À partir de ce jour, l’on fit à ces animaux une guerre incessante. Pas un ne montrait son muffle à portée d’un roër sans qu’une ou deux halles ne vinssent siffler à ses oreilles. Les jeunes gens étaient toujours sur le qui-vive, et, lorsqu’un seul coup ne suffisait pas, le fusil du voisin se chargeait de compléter l’œuvre commencée. Mais le plus souvent, l’amphibie tombait sous la première halle.

Les Boërs connaissaient l’endroit vulnérable chez les zeechocs. Ce nom, que les colons hollandais donnent à cet animal, signifie « vache de mer, » et il est aussi peu juste que notre mot d’hippopotame qui signifie « cheval de fleuve ».

Les chasseurs visaient donc ce gros gibier entre l’œil et l’oreille, et, avec des Nemrods de leur force, il était rare qu’un coup de grâce fût nécessaire. Chaque détonation sonnait le glas d’un hippopotame.

Piet, Hendrik, Andriès, Ludwig et Laurens faisaient des prodiges d’adresse. Pour Laurens, qui, depuis cinq ans, n’avait pas eu d’autre arme qu’une zagaie, ç’avait été un véritable bonheur que de reprendre l’exercice du fusil.

Karl de Moor, qui se prodiguait pour réparer les dommages causés par lui aux Vee-Boërs pendant la première partie de leur expédition, était tout fier des succès de son fils. Tireur sans pareil lui-même, il se joignit aux jeunes gens pour que la chasse fût plus productive, au risque d’être plaisanté par Hans Blom et Klaas Rynwald sur son ardeur de jeune homme. Le baas répondait à ses associés.

« Eh ! laissez Karl s’amuser, puisque c’est profit pour nous tous. »

Mais au fond de son cœur, Jan Van Dorn savait que Karl de Moor cherchait ainsi à compenser les pertes qu’il avaient infligées à la colonie, et lui savait gré de cette réparation.

Pendant cette chasse si fructueuse, un vieil hippopotame mâle offrit aux Vee-Boërs un spectacle curieux.

Frappé derrière l’oreille, beaucoup trop loin pour que le coup fût mortel, l’animal parut subitement atteint de folie. Il se mit à tourner sur lui-même dans l’eau comme un mouton pris de vertige, et nul ne put dire quand il se serait arrêté ; mais Karl de Moor, le seul capable de viser juste une bête lancée dans un mouvement forcené, acheva le blessé d’une balle de son roër.

Il ne se passait presque pas d’heure sans qu’une nouvelle victoire vînt s’ajouter aux précédentes.

Le tas de dents d’hippopotame montait à vue d’œil ; Jan Van Dorn et ses associés déclaraient en se frottant les mains que, pour peu qu’on continuât de ce train-là, ce ne serait pas seulement une compensation aux pertes subies, mais la richesse qu’ils apporteraient à Port-Natal.

Ce que leur réservait la fortune dépassait encore ces conjectures.

À cinq ou six jours de route environ de l’embouchure du Limpopo, à une place où le fleuve présentait environ deux kilomètres de largeur, Smutz signala au baas une petite île qui se trouvait à peu près à égale distance des deux rives.

« Baas, lui dit-il respectueusement, vous hésitiez à toucher terre pour la halte de nuit, à cause de la largeur du fleuve qui rend les rives si lointaines ; voici une île où peut-être l’on pourrait atterrir.

— En effet, » répondit Van Dorn.

La nuit approchait et elle devait être sans lune. Le baas résolut de jeter l’ancre près de cette île pour n’en repartir que le lendemain. Karl de Moor pointa le gouvernail vers cette direction, sans grand changement de manœuvre, puisque l’île s’élevait au milieu du fleuve.

Des roseaux de l’espèce appelée palmit l’entouraient d’une ceinture verte, interrompue à un seul endroit où la profondeur des eaux n’avait pas permis aux palmits de prendre racine.

On fit entrer le radeau dans l’anse naturelle formée par cet intervalle dépourvu de végétation, et, la nuit étant tout à fait venue, l’on n’eut pas le temps d’explorer l’îlot et l’on resta à bord. C’est à peine si deux ou trois Hottentots firent quelques pas sur la terre ferme. L’obscurité était telle qu’ils ne purent rien distinguer.

Le matin au réveil, la surprise des émigrants fut grande lorsqu’ils découvrirent que cet îlot de huit à dix arpents était entièrement couvert d’herbe desséchée. Cependant le sol n’était pas à deux pieds au-dessus de l’eau qui l’environnait, et, comme aucun arbre, aucun arbuste ne s’élevait dans l’île, tout prouvait