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de leurs essences, leur feuillage lustré et luxuriant, les épaisses broussailles enchevêtrées à leurs pieds, annonçaient une forêt tropicale.

À partir de ce moment, la navigation devint aisée ; il n’y avait ni trop ni trop peu de courant. Seulement, Karl de Moor était obligé de manœuvrer le gouvernail avec grande attention, parce que le fleuve décrivait à chaque instant de capricieuses sinuosités.

Souvent ses contours figuraient un S, parfois même ils prenaient la forme contournée d’un 8. On n’aurait pas pu employer les perches dans ces endroits, à cause de la profondeur de l’eau ; quant aux rames, leur action eût été nulle.

Somme toute, l’on n’avait pas à se plaindre. Sans autre soin que celui de guider la direction du gouvernail, le radeau faisait une lieue à l’heure. Chacun était content de cette allure.

Comme leurs ancêtres du Zuyderzée, les Vee-Boërs ne se torturaient pas l’esprit pour des riens. Pendant cette partie de la traversée, leur vie s’écoulait calme et placide, véritable image du fleuve sur lequel leur embarcation glissait. Ils arriveraient un peu plus tôt, un peu plus tard, peu leur importait. Ils avaient si bien marché depuis deux jours qu’il y avait cent à parier contre un qu’on atteindrait Port-Natal avant la saison des pluies. Des lors, pourquoi s’inquiéter ?

On n’avait, pour ainsi dire, rien à faire à bord ; le temps se passait donc en causeries cordiales. La plus grande distraction était de s’intéresser aux prouesses des jeunes chasseurs. Ceux-ci s’amusaient à décharger leurs roërs contre les oiseaux qu’on voyait tourbillonner dans les airs. Vautours, pélicans, aigles ou grues, tout leur était bon, tout servait de but à leur adresse.

Le baas avait d’abord regardé bénévolement ces jeux ; mais il finit par les interdire aux jeunes gens.

« Mes enfants, leur dit-il, vous perdez votre poudre et vos balles en les envoyant ainsi aux moineaux. »

À ce mot de moineaux, les jeunes Boërs ne purent s’empêcher de rire, et le baas mit beaucoup de bonne grâce à partager leur hilarité.

« Des moineaux ! continua-t-il ; ce mot, impropre pour qualifier les énormes oiseaux que vous tirez, est juste comme image. Il ne nous sert de rien qu’un aigle frappé au cœur fasse un plongeon dans le Limpopo ou qu’un pélican blessé s’en aille expirer dans les broussailles de la rive. Mais, comme nous ne sommes pas encore arrivés dans un lieu où nous pourrons renouveler nos munitions, je trouve bon de ne pas les perdre inutilement. Après tout, si vous grillez d’entretenir la justesse de votre coup d’œil et la sûreté de votre main, vous auriez à faire de vos roërs un emploi contre lequel je n’aurais rien à objecter.

— Qu’est-ce donc, baas ? » lui crièrent en chœur tous les jeunes gens avec un véritable empressement de chasseurs.

Jan Van Dorn leur désigna du doigt plusieurs hippopotames vautrés dans les joncs de la rive.

Depuis que l’on naviguait sur le Limpopo, on avait rencontré plus d’un hippopotame ; mais c’était au moment où le radeau était entraîné par les rapides et où il eût ôté impossible de ralentir sa course. C’étaient parfois de vieux mâles ; parfois des femelles portant leurs petits sur leurs dos ou semblant endormies à la surface du fleuve. Un nombre infini d’oiseaux se reposaient sans façon sur leurs masses énormes, quittes à s’envoler en poussant des cris de surprise, lorsque, pour une raison ou une autre, leur perchoir venait à leur manquer. Rien n’était plus drôle que de voir l’effarement des pauvres volatiles en pareil cas.

Quant aux quadrupèdes, leur attitude n’était pas moins curieuse. Ils avaient pu dans leur vie entrevoir des canots ou des barques ; mais jamais, au grand jamais, une embarcation de la taille et de la forme de ce radeau. Lorsque, de cette île flottante, ils voyaient s’échapper des détonations accompagnées de flamme et de fumée, ils levaient la tête de toute sa hauteur et répondaient au bruit de la fusillade par des mugissements, des reniflements et des soubresauts grognons qui annonçaient plus de surprise que d’alarme.

« Je suis sûr, dit le baas en continuant d’expliquer son idée à ses jeunes amis, que les naturels du pays ont peu chassé dans ces parages. Les hippopotames n’ont pas peur de nous ; ils n’ont pas dû être traqués. Ce serait donc une chasse aisée.

— Et un bénéfice net pour la colonie, » ajouta Klass Rynwald à l’oreille de Hans Blom qui opina d’un signe de tête affirmatif.

Le baas n’était pas homme à négliger les intérêts de la communauté. On avait subi assez de pertes pour ne pas négliger une occasion de réaliser de gros profits. Quoique