Page:Reid - Aventures de terre et de mer, Hetzel, 1891.djvu/293

Cette page n’a pas encore été corrigée

coupables et les avaient cruellement piqués. Chaque nageur avait son bataillon particulier d’insectes en colère qui bourdonnaient au-dessus de sa tête et enfonçaient leur dard sous sa peau. Protégés par leur épaisse perruque laineuse, les Cafres souffraient moins que leurs camarades Hottentots, forcés de plonger à chaque instant pour se dérober aux piqûres. Ils ne sortaient pas plus tôt de l’eau pour respirer que les insectes saisissaient l’occasion de leur revanche et les obligeaient à piquer une tête de nouveau. C’était on ne peut plus comique… pour tout autre que le patient.

Sur le radeau, on rit aux larmes, et, entre les accès de ce fou rire, Katrinka disait à Meistjé que c’était bien fait pour ces sottes gens qui avaient tué les jeunes slangvreters ; mais les rieurs n’eurent pas le dernier mot.

Dès que les nageurs eurent abordé, les abeilles les abandonnèrent pour se jeter sur toutes ces nouvelles figures. Les peaux blanches, noires et jaunes, reçurent sans distinction des marques cuisantes du ressentiment des abeilles. L’hilarité se changea en cris de douleur et en vains efforts de défense contre ces ennemis minuscules, si bien armés pourtant.

C’était une scène de confusion reproduisant dans de plus grandes proportions ce qui s’était passé sur la rive. Les femmes entraînaient en criant leurs enfants sous les tentes, tandis que les jeunes Boërs faisaient le moulinet avec leurs bras pour éloigner les insectes. On eût dit une armée de Don Quichottes s’escrimant contre un adversaire invisible. Les serviteurs semblaient piqués de la tarentule et les vieux Boërs eux-mêmes, sortant de leur flegme tout hollandais, gesticulaient aussi vivement que leurs voisins.

Ce vacarme dura près de vingt minutes, qui parurent longues à tout le monde. Enfin la dernière abeille disparut et l’on se regarda… C’était bien pis qu’après l’invasion des moustiques. Personne ne sortait de la bagarre sans piqûres, mais les premiers attaqués restaient les plus maltraités. Ils avaient les yeux en capilotade, le nez doublé de volume, la figure boursouflée, méconnaissable.

Gret, le singe de Katrinka, n’avait pas été épargné ; ne sachant d’où lui venait cette douleur si vive, il s’était vengé sournoisement en tirant les cheveux de son voisin Andriès. Ce ne fut pas là l’accident le moins drolatique. Ajoutons en l’honneur d’Andriès qu’il ne punit pas Gret de son méfait, comme le singe l’eût mérité. L’Andriès d’autrefois n’aurait pas manqué de se mettre en colère et de châtier d’importance le malicieux animal ; mais le jeune homme avait beaucoup changé depuis quelque temps… la date de cette conversion était même possible à préciser. Andriès était devenu tout autre depuis le jour où, servant d’escorte aux femmes retournant au camp, il avait eu une longue conversation avec Meistjé.

Un fait certain, c’est que depuis ce temps Andriès se montrait assidu auprès de la blonde sœur de Katrinka, et qu’il n’avait plus l’ombre d’une querelle avec Piet.

L’aventure des abeilles n’était que désagréable pour des Boërs. Lorsqu’on a eu à combattre des lions et des éléphants, on ne peut prendre au sérieux des attaques de ce genre. Vingt-quatre heures après l’accident, les haleurs eux-mêmes n’y auraient plus songé si Katrinka et Meistjé ne leur avaient fait observer que leur cruauté envers les jeunes slangvreters leur avait valu cette punition du ciel.

Ce sermon, sorti d’aussi jolies bouches, ne manqua pas de frapper vivement ces cervelles primitives. Les Cafres et les Hottentots remarquèrent entre eux que les deux jeunes filles, qui avaient essayé en vain de sauver les oiseaux, avaient été épargnées par les abeilles.