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un immense berceau, peu artistement fait de brindilles mal jointes, à travers desquelles pendaient les longues pattes de deux jeunes oiseaux.

Le père et la mère restèrent à côté du nid jusqu’à ce que les haleurs fussent tout près. Ils ne s’envolèrent qu’à la dernière extrémité ; encore ne s’éloignèrent-ils que juste assez pour sauvegarder leur propre liberté. Les pauvres bêtes poussaient des cris déchirants, moitié de terreur, moitié pour, attirer à elles leur jeune couvée. Les jeunes ne savaient pas encore voler ; mais ils étaient parvenus à un degré assez avancé de croissance pour s’enfuir à grandes enjambées.

Du radeau, on entendit crier les échassiers, et Katrinka, saisie de pitié pour leur détresse, cria aux haleurs :

« Laissez-les, n’y touchez pas ! »

Mais ils n’entendirent pas cet ordre charitable… ou bien ils ne voulurent pas l’avoir entendu, emportés qu’ils étaient par l’intérêt de leur poursuite.

C’était chez eux pur enfantillage et non méchanceté raisonnée. Peut-être aussi avaient-ils la folle idée de prendre vivante toute cette famille de slangvreters pour la transporter sur le radeau, où elle aurait fait l’amusement des enfants de la colonie. Les Vee-Boërs, en effet, apprivoisent les secrétaires, qui servent de défenseurs au menu peuple de leurs basses-cours.

Cinq ou six Cafres s’étaient déjà mis à la poursuite des jeunes oiseaux et ne cessèrent pas leur chasse après l’ordre de Katrinka. Les slangvreters fuyaient aussi vite que leurs grandes échasses, encore un peu faibles, le leur permettaient ; ils seraient sans doute parvenus à s’échapper, sans une excavation de terrain qui se trouva sur leur passage. Tout préoccupés de leurs persécuteurs, ils n’aperçurent pas ce trou dans lequel ils tombèrent tous les deux. Ils restèrent là à se débattre comme au fond d’un piège, leur chute leur ayant ôté les moyens d’en sortir. L’un avait les deux pattes cassées ; l’autre, une patte et une aile fort endommagées.

Cet accident est très fréquent chez les oiseaux de cette espèce. Les échassiers ont des jambes tellement fragiles, qu’elles se brisent net à la moindre chute.

En relevant ces jeunes slangvreters, les Hottentots constatèrent avec regret que leurs fractures étaient si graves qu’il n’y avait aucun espoir de les remettre par le traitement usité en pareil cas. Pour sauver aux oiseaux les tortures de l’agonie, ils leur tordirent le cou et reprirent leur marche, apitoyés ou non par les cris des pauvres parents qui volèrent autour des ruines de leur nid désormais désert.

Les Cafres et les Hottentots ont le cœur peu sensible ; il est probable que les plaintes des pauvres échassiers ne les touchaient guère.

Bientôt après, les haleurs firent une seconde rencontre moins agréable et qui avait tout l’air d’un châtiment du ciel.

À mesure qu’ils avançaient, la chaleur devenait plus accablante. La température était celle d’une serre chaude. Les haleurs n’auraient plus eu la moindre envie de courir après n’importe quelle prise ; ils ne riaient plus entre eux, ne parlaient pas et traînaient la jambe. Le poids seul de la corde de halage devenait fatigant sous ce ciel de feu ; au lieu de la porter, ils la laissaient languissamment raser la terre derrière eux.

Du radeau, l’on trouvait que les haleurs en prenaient à leur aise, car l’allure en avant se ralentissait. Le baas héla les Hottentots et leur ordonna d’accélérer le mouvement. Quelle ne fut pas la surprise de tous les colons lorsqu’ils virent tout à coup les haleurs lâcher le cordage, comme si c’eût été un fer rouge, et se mettre à sauter, à gambader en remuant avec frénésie bras et jambes. La troupe entière des Hottentots à terre parut atteinte subitement de la danse de Saint-Guy.

Ce n’était pas un jeu de la part des haleurs ; leurs cris, leurs mouvements désordonnés, leurs contorsions, exprimaient la douleur. Les uns s’élançaient dans la prairie et se roulaient à terre ; les autres couraient affolés le long de la rive ; mais la plupart se jetèrent dans le fleuve et nagèrent vers le radeau, fuyant un ennemi, invisible pour les passagers.

« Qu’y a-t-il ?… que se passe-t-il donc ?

Ces questions sortaient de toutes les bouches.

Lorsque les nageurs furent assez près pour s’expliquer, l’énigme fut résolue. Chaque homme était assailli par un tourbillon d’abeilles.

Voici ce qui s’était passé : la corde traînant à terre avait rencontré une ruche et l’avait détruite de fond en comble. Furieuses de voir leur palais ruiné et leur provision de miel perdue, les abeilles s’étaient jetées sur les