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qu’ils étaient déjà arrivés, parce qu’ils se voyaient certains d’atteindre, en plus ou moins de temps, l’embouchure du Limpopo. Puis chacun d’eux éprouvait le plaisir que procurent les voyages par eau, où l’on se sent entraîné en avant sans fatigue, avec l’agrément de voir se dérouler devant soi un panorama de scènes variées.

Au lieu d’être comme auparavant encaissé entre des collines et des montagnes, le pays que traversaient les Vee-Boërs était une immense plaine, couverte d’herbes et de roseaux. De nombreux bouquets d’acacias l’ornaient de leurs panaches déliés ; mais on y voyait peu d’autres essences de bois. Dans toute autre saison de l’année, cette région aurait été inondée et n’aurait présenté qu’une immense plaine d’eau. À l’époque où les Vee-Boërs la parcouraient, certaines parties restaient encore à l’état de marais, quoique ce fût la saison de la sécheresse et que le fleuve se trouvât à son plus bas étiage.

Le règne animal était mieux représenté que le règne végétal. Les oiseaux surtout abondaient. Il y en avait de fort grands et des variétés à l’infini. Des « grues bleues » et des « grues membraneuses » se tenaient perchées sur une patte ou volaient languissamment au-dessus du fleuve.

La grue bleue est connue des naturalistes sous le nom de grue de Stanley, Anthropoïdes Stanleyanus, et elle est plus commune que la grue membraneuse.

Sur quelques bancs de sable, on apercevait la « grue des Cafres » qui, les ailes étendues et traînantes, semblait danser un quadrille. La grue des Cafres est cette belle espèce, ornée d’une aigrette, qu’on nomme aussi grue couronnée ou encore Baléarique, Balearica Regularum, parce qu’on la rencontre dans les îles Baléares,

Non loin de là, mais toujours solitaire, le grand héron de Goliath se promenait gravement ; moins à l’écart, plusieurs espèces de flamants et de cigognes et quelques « aigrettes blanches » se groupaient. Parmi les cigognes, les émigrants remarquèrent surtout le gigantesque adjudant, Citonia argali, dont le bec, semblable à une pioche, est si long que, lorsque l’oiseau lève la tête et étend son cou, l’extrémité de ce bec atteindrait la hauteur d’un homme.

Des troupes d’oies et de canards s’envolaient, effarouchées, sur le passage du radeau, tandis que des autruches et de grandes outardes Kori parcouraient la plaine sur leurs échasses, et s’approchaient avec une curiositée mêlée de frayeur pour regarder passer ce monstre aquatique, à elles inconnu.

Bien haut dans les airs planaient des vautours, des aigles, des milans et autres oiseaux de proie, qui décrivaient des courbes et cherchaient à découvrir quelque bonne aubaine.

Même abondance de quadrupèdes ; cà et là, un hippopotame, nageant lourdement, montrait sa tête mal équarrie et son vilain museau tronqué. Il aspirait l’air, puis plongeait et disparaissait sous l’eau pour recommencer un peu plus loin le même manège. Des rhinocéros venaient boire au bord du Limpopo, et l’on voyait galoper dans la prairie des troupeaux de couaggas, de zèbres et d’antilopes,

Le Vee-Boërs observaient toutes ces scènes avec intérêt ; mais le plus curieux de tous ces spectacles leur fut donné par des éléphants.

Pendant que les émigrants construisaient leur radeau au confluent de la rivière et du Limpopo, ils avaient souvent aperçu des bandes d’éléphants qui vaguaient sur la rive opposée et qui se dirigeaient tous du même côté, en avant du fleuve. Les Vee-Boërs avaient pensé que c’était toujours la même bande qui revenait de nuit et qui s’en allait chaque matin chercher sa subsistance. Mais c’était là une erreur.

À une quinzaine de kilomètres de distance, ils virent à leur droite une grande étendue de terrain marécageux, une savane sur laquelle paissait une telle multitude d’éléphants qu’on eût dit que tous les éléphants de l’Afrique s’y étaient réunis. La plaine en fourmillait. Il y en avait au moins un millier. Enfoncés jusqu’à mi-corps dans une sorte de joncs poussant fort drus dans ce marais, ils engloutissaient d’énormes bouchées de ce fourrage. C’était sans doute à cette végétation luxuriante qu’était due la présence de ce grand nombre de pachydermes.

Si familiarisés que fussent lesVee-Boërs avec les éléphants, une telle agglomération leur causa une vive surprise. Les plus anciens chasseurs, le vieux Jan Van Dorn du nombre, déclarèrent n’avoir rien vu d’équivalent à ce tableau.

Les jeunes gens n’avaient qu’un désir : aborder et tuer le plus d’éléphants possible, et Piet fut chargé, comme de coutume, d’exprimer