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temporaire de les avoir empêchés de tirer sur l’éléphant. Celui-ci s’était comporté comme leur allié en punissant un des individus de ce groupe de crocodiles qui avaient dévoré deux de leurs colons. La vengeance exercée par le karl-kop prenait presque à leurs yeux le caractère d’une revanche des méfaits dont eux-mêmes avaient pâti.

On serait tenté de mettre en doute l’authenticité de ce fait ; mais l’auteur de ce récit est à même d’affirmer ce qu’il relate. C’est un témoin oculaire et digne de foi, l’un des Boërs présents, qui le lui a raconté.

Le karl-kop s’en alla du pas lent et mesuré dont il était venu, et reprit sans doute sa vie errante et solitaire…


CHAPITRE XIX
SUR LE LIMPOPO


Presque sous le tropique du Capricorne coule un fleuve qui se dirige à l’est vers l’océan Indien. Ce fleuve se nomme le Limpopo.

Les Vee-Boërs ayant opéré leur second transbordement avec la même patiente docilité que le premier, se rembarquèrent à la fin de l’omaramba et parvinrent, après deux journées de navigation, au point de jonction du fleuve avec son tributaire. Leurs conjectures se trouvèrent justes : la rivière Katrinka se jetait dans le Limpopo.

Ayant à naviguer sur un vrai fleuve, où ils étaient certains que l’eau ne manquerait plus, les émigrants jugèrent bon de ne faire qu’un seul radeau de leurs trois embarcations. À cet effet, ils campèrent pendant une quinzaine de jours au confluent de la rivière. Ils ajoutèrent aux koker-booms quelques troncs d’arbres plus forts ; ce fut à peu près le seul changement qu’ils trouvèrent à opérer pour obtenir la solidité de l’unique radeau. Les trois tentes furent dressées côte à côte sur le gaillard d’arrière, et l’on ménagea à l’avant un abri assez spacieux pour tous les serviteurs. La cargaison fut réunie en une pile unique, enfin l’on n’établit qu’un seul fourneau d’argile au lieu de trois. Sous une température atteignant souvent cinquante degrés à l’ombre, le fourneau n’avait d’utilité que pour la cuisine, et un seul suffisait pour préparer les mets de toute la colonie.

Puisque l’obligation d’agencer le radeau exigeait une assez longue halte, Laurens de Moor proposa au baas de construire un canot, qui pouvait avoir son utilité. Le baas approuva cette idée, et, sous la direction de Laurens, les deux serviteurs macobas creusèrent une barque dans un tronc d’arbre, à la mode de leur pays. Ce canot avait vingt pieds de long sur cinq de large et pouvait contenir huit ou dix passagers. Cet esquif, rattaché par une corde, se balançait gracieusement à la suite du radeau. Il devait servir, au besoin, pour communiquer avec les rives, l’arrêt d’un vaste radeau n’étant pas toujours prompt et commode. Depuis l’alerte des crocodiles, les chevaux d’eau n’étaient plus en faveur ; néanmoins on remorqua à l’arrière une petite flottille de koker-booms armés de chevilles, prêts à servir au besoin.

Personne ne se fit prier pour lever le camp. Les moustiques, volant par essaims sur les rives, n’y laissaient pas de repos aux voyageurs, et c’est un fait d’observation que ces insectes insupportables se groupent au bord de l’eau, parmi les herbes et les joncs, tandis qu’ils sont moins nombreux au milieu des larges fleuves.

On s’embarqua gaiement. Les jeunes gens ôtaient ravis de leur réunion sur un même radeau, qui leur permettait de se grouper et de causer plus agréablement que pendant les courts arrêts à terre. Le reste de la colonie, pour des motifs plus pratiques, n’était pas en moins belle humeur. Il leur semblait