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Quel ne fut pas leur émoi en découvrant qu’au lieu d’être un moyen de retraite, ce mouvement des crocodiles était une attaque dirigée contre les radeaux.

Après avoir plongé, la tête la première, les sauriens, revenus à la surface de l’eau, se dirigèrent vers les embarcations d’un air menaçant, lis ouvraient et refermaient leurs mâchoires avec un bruit horrible ; ils geignaient d’impatience d’atteindre leur proie, ils criaient de plaisir de l’avoir découverte et fouettaient de leur queue musculeuse l’eau qui écumait autour d’eux.

Les passagers des trois radeaux avaient poussé un même cri d’ensemble pour avertir les cavaliers « aquatiques » du danger qui les menaçait. Jamais marins se baignant auprès d’un navire à l’ancre ne remontèrent plus précipitamment à bord au cri poussé par la vigie :

« Les requins ! »

Quelle scène de terreur confuse !… Les cavaliers abandonnèrent leurs troncs de koker-booms, qui flottèrent à la dérive, et ils s’élancèrent sur les radeaux. Ils abordèrent sans distinction d’appartenance sur celui qu’ils trouvaient le plus proche. Chacun s’empressait, leur tendait la main, tandis que les femmes et les enfants se réfugiaient sous les tentes. Pendant ce temps, les Vee-Boërs saisirent leurs roërs et en vérifièrent les amorces.

Une agression aussi inattendue les remplissait de crainte. Les plus braves ne purent se défendre d’un instant d’effroi. Jamais les Vee-Boërs n’avaient rencontré de crocodiles que l’approche de l’homme ne mît en fuite.

« Vite ! vite ! » criait-on des radeaux aux cavaliers aquatiques en retard.

Hélas ! tous les hommes ne purent pas se sauver. Deux Cafres furent saisis par ces animaux enragés et tués sous les yeux de leurs compagnons sans qu’on pût leur porter secours.

Tous ceux qui savaient manœuvrer un roër vengèrent par un feu terrible la perte de ces fidèles serviteurs. Ils déchargèrent coup sur coup toutes leurs armes sur les crocodiles, et ce feu succédait presque sans interruption, car les femmes sortirent de leur retraite après y avoir mis les enfants en sûreté, et elles s’employèrent vaillamment à recharger les armes au fur et à mesure et à les mettre aux pieds des tirailleurs.

Cette fusillade dura jusqu’au moment où les radeaux furent enveloppés de fumée et l’eau toute rougie de sang.

Les sauriens, qui avaient paru d’abord inaccessibles à la crainte, finirent par comprendre leur échec, et, laissant leurs blessés se tordre dans les convulsions de l’agonie à la surface de l’eau, ils s’enfoncèrent dans le lac pour ne plus reparaître.

Les rameurs activèrent leurs mouvements, tandis que les Vee-Boërs tiraient de temps à autre quelques coups de fusil pour prévenir un retour des amphibies.

Lorsque les radeaux atteignirent l’autre extrémité de la nappe d’eau, ils eurent l’explication de cette grande assemblée de crocodiles.

Pour la seconde fois, la rivière cessait de couler et se perdait sous terre.


CHAPITRE XVIII
LE KARL-KOP


La rivière disparaissait pour la seconde fois sous le sable ; mais la situation des voyageurs était pire qu’à la première épreuve de ce genre, car les éclaireurs envoyés à la découverte déclarèrent au retour que le canal continuait à être à sec pendant près de dix-huit kilomètres. C’était une distance double de la longueur du premier omaramba.