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tions. Un silence morne avait remplacé l’enjouement babillard de la veille. Jan Van Dorn, le front soucieux, semblait perdu dans ses réflexions.

Chacun tenait les yeux fixés sur le point où les jeunes gens avaient disparu. On attendait leur retour avec une vive anxiété. Une heure s’écoula, puis encore une autre. Les émigrants se disaient tout bas l’un à l’autre que c’était mauvais signe… Si la rivière, par mauvaise chance, ne revenait pas sur le sol et restait sous terre à former un lac ?… Ces réflexions n’étaient pas gaies.

Pendant ce temps, le baas se concertait avec Blom, Rynwald et Karl de Moor, désormais appelé à se joindre au conseil supérieur des quatre Vee-Boërs ; il organisait un plan d’action pour le cas où la rivière reprendrait son cours à une distance assez proche.

« Huzza ! » cria tout à coup dans le lointain une voix bien connue et qui fit battre le cœur de Katrinka.

C’était la voix de Piet qui, fidèle à sa promesse, revenait en courant annoncer qu’à neuf kilomètres de là, l’eau reparaissait brusquement et qu’un peu plus loin la rivière redevenait navigable.

Le baas n’attendait que cette certitude pour donner ses ordres.

Aussi, lorsque Smutz et les autres éclaireurs arrivèrent à leur tour et certifièrent la bonne nouvelle, ils trouvèrent les Boërs en train de décharger les radeaux avec autant d’activité qu’ils en avaient mis à les charger si peu de jours auparavant. Quand il ne resta plus rien que la charpente des embarcations, ce fut cette charpente même qu’on démolit aussi prestement que possible.

Le plan du baas était simple et logique : puisque la rivière ne venait pas aux émigrants, c’était à ceux-ci d’aller vers la rivière. Les radeaux et leur chargement seraient transportés pièce par pièce à l’endroit où la rivière recommençait à couler. Là, on rassemblerait les pièces composant les embarcations, et l’on reprendrait le fil de l’eau.

Mais ce transbordement était long à opérer. Quelque activité qu’on y employât, il exigea près de deux jours. C’était un curieux spectacle que celui de ces hommes bronzés, nus jusqu’à la ceinture et portant les poutres des radeaux pendant huit ou neuf kilomètres. On eût dit autant de cariatides mouvantes. Mais le poids des troncs de koker-booms était très minime, comparativement à leur volume. S’il eût été en rapport avec les dimensions de la charge, les forces réunies de plusieurs hommes n’eussent pas suffi à les transporter à une pareille distance, et l’entreprise résolue par le baas eût été impossible à accomplir.

Avec du courage et de la bonne entente, on vint à bout de cette énorme tâche. Le soir du second jour, tout était transporté à l’extrémité de l’omaramba : poutres, cordes, rames, ainsi que les biens mobiliers de chaque famille. On n’avait pas laissé perdre l’objet le plus menu.

Comme on n’avait plus qu’à rassembler les éléments déjà tout préparés des radeaux, la reconstruction prit beaucoup moins de temps que l’édification première. Non seulement les ouvriers avaient gagné de l’habileté, mais encore ils connaissaient la place de chaque pièce de bois. C’était pour ainsi dire comme un grand jeu de patience dont il s’agissait de remmancher les morceaux épars.

Le quatrième jour au matin, après avoir déjeuné à terre, les émigrants s’embarquèrent pour la seconde fois.

Il n’y avait guère plus de courant dans la rivière qu’aux premières approches de l’omaramba, et il fallut vigoureusement jouer des perches et des rames. Les Vee-Boërs comptaient que cette stagnation de l’eau cesserait plus loin, et, dans cet espoir, ils n’épargnaient pas leurs peines. La rivière allait s’élargissant, et cette étendue même leur faisait augurer que les radeaux descendraient bientôt sans aide.

Préoccupés de leur opération de transbordement, les Vee-Boërs n’avaient exploré en aval que trois ou quatre kilomètres de la rive. Jusqu’à cette distance de trajet, tout alla assez bien. On avançait péniblement, mais on avançait. Un peu plus loin, le canal prit une extension considérable. L’eau stagnante formait une sorte de lac calme, uni, sans une ride à sa surface, d’environ deux kilomètres de longueur sur six à sept cents mètres de largeur. L’extrémité opposée à celle par où les radeaux entraient dans ce lac se rétrécissait en un canal de proportions exiguës.

Ce lac était bordé d’une ceinture de sable fin sur lequel apparaissaient des formes noirâtres qui rayaient bizarrement la blancheur du sable. On voyait des quantités de stries sombres qu’on pouvait prendre de loin pour des troncs d’arbres entraînés par une inondation et échoués, laissés sur la rive par la