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CHAPITRE XVII
UN CLAN DE CROCODILES


C’était vrai : la rivière ne coulait plus, ou, pour parler plus exactement, elle se perdait sous terre. Quelques mètres plus loin, l’eau disparaissait, s’échappait par quelques conduits souterrains, et l’on voyait ce que les indigènes nomment un omaramba, c’est-à-dire un lit de rivière qui n’est rempli que pendant la saison des inondations et qui reste à sec en d’autres temps.

Aussi loin que s’étendait leur vue, les voyageurs apercevaient un canal jonché de sable argenté et bordé de joncs desséchés d’un brun noirâtre. Quant à de l’eau, pas même la plus petite flaque. Et cela sur une étendue de plus de deux kilomètres.

Que se trouvait-il au delà de l’horizon ? La rivière rejaillissait-elle du sol aussi mystérieusement qu’elle s’y perdait ici ? Ou bien cet omaramba continuait-il indéfiniment ? c’est ce que le nul ne pouvait conjecturer.

Ce phénomène désappointait cruellement les Vee-Boërs, mais ce n’était pas une nouveauté pour eux ; ils avaient déjà rencontré d’autres omarambas au cours de leurs migrations pastorales. Un cours d’eau tari périodiquement n’est pas chose rare dans le sud de l’Afrique. Ce fait se présente également dans d’autres parties du Monde : en Asie, dans les deux Amériques et surtout en Australie. On le remarque même dans l’est de l’Europe, près de la mer Caspienne et de la mer Noire.

Mais si les émigrants n’étaient pas surpris outre mesure, rien n’égalait leur déception.

Quoi ! tant de travail, tant de peines perdues ! Toutes ces preuves d’habileté, d’ingéniosité, de labeur, que chacun avait fournies depuis quinze jours pour mettre les embarcations à flot, devenaient inutiles ! Tout cela n’aboutissait qu’à trouver la route barrée devant soi !

C’eût été à désespérer si le mal eût paru absolu, sans remède ; mais la même question était sur toutes les lèvres.

« Quelle peut être la longueur du canal desséché ? La rivière ne reparaîtrait-elle pas plus loin ? »

Tant que cette question n’était pas résolue dans le sens négatif, il restait de l’espoir.

« Ici, les jeunes gens ! » cria le baas.

Un instant après, Piet Van Dorn, désigné comme chef des éclaireurs, rassemblait autour de lui ses jeunes amis en un détachement chargé d’une tournée d’exploration.

« Emmenez Smutz, » dit Katrinka.

Le guide hottentot se préparait déjà ; il n’admettait pas que ses jeunes maîtres allassent à la découverte sans lui.

« Vous allez avec eux, Laurens ? dit Annie au fils de Karl de Moor ; je croyais que mon père avait assuré que Piet, Hendrik, Andriès et Ludwig suffiraient, avec Smutz et six domestiques.

— J’irai, dit Laurens, à moins que le baas ne me le défende. Je sais bien pourquoi il ne m’a pas désigné, c’est qu’il a la bonté de craindre toujours qu’il ne m’arrive quelque chose de fâcheux. C’est par amitié pour mon père qu’il n’aime pas à me risquer. Je suis bien reconnaissant au baas de cette sollicitude ; mais je ne cours pas plus de danger que ses deux fils, et je serais attristé de ne pas accompagner mes jeunes amis.

— Partez, Laurens, en ce cas, dit Jan Van Dorn, et rapportez-nous de bonnes nouvelles.

— Ah ! j’en réponds ! » cria Piet en saluant Katrinka d’un geste.

Les explorateurs s’engagèrent dans le lit sablonneux de la rivière. Bientôt ils disparurent derrière les joncs et les roseaux. En leur absence, on parla peu sur les embarca-