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crois, un seul élève qui en soit capable ! Toujours est-il que notre porte s’est ouverte tout à coup, et que nous avons été surpris fumant. Cela nous a valu un mauvais point à chacun. C’est un luxe que je pouvais à la rigueur me permettre, étant en avance de bons points. Mais, pour Mac Diarmid, il n’en était pas de même. Ses bonnes et mauvaises notes à lui se balançaient. Un mauvais point, et il pouvait être perdu. Il a la tête chaude, il s’est emporté, il a manqué de respect à la commission et parlé d’espionnage. Bref, on l’a, séance tenante, frappé d’expulsion. Pauvre garçon ! Toute l’École a été désolée de cette rigueur, car, malgré quelques rudesses de caractère, il était très aimé. C’était le meilleur cavalier et la plus fine lame de nous tous… Pour moi, son expulsion est un véritable crève-cœur, car non seulement je fais grand cas de son intelligence, non seulement il m’a appris à travailler et je lui dois beaucoup de ce que je suis, de ce que je deviendrai peut-être, mais je lui dois la vie, qu’il m’a sauvée au péril de la sienne…

— Vraiment ? s’écria miss Juliette avec intérêt.

— Oui, c’était l’hiver dernier, sur la rivière. Nous patinions gaiement ensemble, quand la glace s’est rompue sous mes pieds, et j’ai disparu sous l’eau. Je m’étais blessé en tombant sur le tranchant de la fissure, j’étais sans connaissance et perdu sans ressource. Mac Diarmid, n’écoutant que son courage et son amitié pour moi, a plongé dans le gouffre, m’a cherché sous la glace, m’a saisi parles cheveux et ramené à la surface… Il était lui-même à demi paralysé par le froid… D’autres camarades nous ont jeté des cordes et des perches et ont achevé de nous tirer d’affaire. Mais nous n’en avons pas moins été tous deux à l’infirmerie pendant un mois à la suite de cette algarade. Vous pouvez penser si je lui conserve une ardente reconnaissance !…

— Est-ce qu’il est sans fortune ? demanda miss Juliette Brinton d’un ton détaché.

— Non, loin de là. Son père, un très riche négociant en fourrures, si je suis bien informé, lui a, au contraire, laissé un gros héritage. Mais cela ne le console guère.

— Pauvre jeune homme ! je le plains sincèrement ! soupira miss Brinton ! Mais vous, du moins, monsieur Armstrong, vous avez été plus heureux et vous avez passé avec tous les honneurs… »

La jeune fille, craignant de s’être trop avancée, s’arrêta tout à coup en rougissant.

« … Ne trouvez-vous pas qu’il commence à faire frais ? reprit-elle en frissonnant un peu. Si nous revenions au salon ?… Je crains que mon père ne soit inquiet de ne plus me voir.

— Je suis à vos ordres, mademoiselle, » répliqua le jeune homme en s’inclinant.

Et, tout en marchant, il ajouta :

« Ah ! je savais bien que tout ceci ne pouvait durer !… C’était trop beau !… Et maintenant c’est fini, car je pars demain pour l’Ouest.

— Mais je croyais que tous les élèves, en quittant l’École, avaient droit à un congé ? fit observer miss Juliette Brinton.

— Sans doute, et c’est pourquoi je vais passer le mien dans ma famille. »

Miss Brinton sembla piquée.

« N’était-il pas convenu que vous deviez venir nous voir aux Beeches avec mon cousin Cornélius ? »

Frank Armstrong parut hésiter avant de répondre.

« Je n’ose y aller, dit-il enfin lentement. Le danger est trop grand pour moi, — et un soldat ne doit pas chercher de danger inutile.

— Le danger ! s’écria la jeune fille. Eh ! quel danger, je vous prie ?

— Celui de me laisser aller à un rêve que je n’ai pas le droit de poursuivre, dit-il d’un ton contenu, un pauvre sous-lieutenant comme moi… »

Il s’interrompit brusquement et reprit très vite :

« Vous savez que Cornélius et moi nous ne nous aimons guère. Il vaut mieux que nous ne nous trouvions pas ensemble. »

Un silence assez embarrassant succéda à ces paroles, et il est difficile de dire comment la conversation aurait pu être reprise, si, par bonheur, au détour de l’allée, Frank Armstrong et miss Brinton n’avaient rencontré une jeune fille et un officier, qui semblaient justement être à leur recherche.

« Les voilà, Cornélius ! dit aussitôt la voix fraîche de miss Nettie Dashwood. Juliette ! il faut partir… Mon oncle vous a déjà réclamée à tous les échos… Monsieur Armstrong, mon cousin, ici présent, a reçu la commission for-