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Personne ne pouvait non plus assurer que la rivière serait navigable jusqu’à son embouchure et que des rapides ne viendraient pas troubler le cours du voyage.

Quant au Limpopo même, les émigrants n’en savaient guère plus long sur ce fleuve. Van Dorn, dans ses courses aventureuses, et Smutz, en compagnie d’Anglais, avaient suivi le cours du Limpopo pendant une quinzaine de kilomètres, mais au nord, bien plus haut que l’endroit où, selon toute probabilité, aboutissait la rivière que les émigrants avait baptisée la Katrinka, en l’honneur de la jolie fille aînée de Klaas Rynwald.

La colonie s’avancait par conséquent dans un pays inconnu sur lequel elle ne possédait aucune notion.

Mais à quoi bon s’inquiéter d’avance ? on ferait face aux périls quand ils se présenteraient. Jusque-là, à la garde de Dieu !

Les-Hollandais, les Vee-Boërs surtout, sont chrétiens et pratiquants. Chacune de leurs familles errantes transportait avec elle, comme objet de première nécessité, une Bible qu’ils préservaient de toute avarie avec soin, à l’exemple des anciens transportant les dieux lares de leur foyer. On eût tout abandonné plutôt que de laisser se perdre cet in-folio vénéré.

Inutile d’ajouter que le livre contenant la parole divine était sur les radeaux. Nos Vee-Boërs ne démentaient pas leurs ancêtres, dont ils suivaient l’antique tradition. Chaque dimanche, Jan Van Dorn, Klaas Rynwald et Hans Blom lisaient quelques chapitres de la Bible à leurs enfants et à leurs serviteurs assemblés. Peut-être était-ce au bienfait de cette foi naïve que les émigrants devaient leur tranquillité au milieu de désastres qui eussent abattu des natures moins confiantes dans la protection de la Providence.

Le premier jour de navigation, dont le début avait été si gai, se passa fort bien. Les radeaux flottaient à merveille. Chacun accabla de compliments le baas, Laurens de Moor et leurs aides macobas, à qui revenait l’honneur de leur construction.

Les koker-booms, si épais et pourtant si légers, ne laissaient pas pénétrer la moindre goutte d’eau et le courant, quoique assez faible, poussait les embarcations en avant sans le secours des rameurs. La seule précaution à prendre, c’était de se tenir bien au milieu de la rivière sans laisser incliner les radeaux vers les rives, fort rapprochées à cet endroit. Ces embarcations si lourdement chargées étaient si faciles à manœuvrer qu’un seul homme suffisait pour les éloigner du bord.

Si les Macobas étaient fiers de leur œuvre, Laurens de Moor était aise de n’avoir plus dans la colonie le rôle d’un intrus accepté par pitié, et de s’être rendu utile dès son arrivée. À mesure que la famille du baas connaissait ce jeune homme, chacun de ses membres se prenait d’affection pour lui. Mme Van Dorn louait l’égalité de caractère, la complaisance empressée de Laurens. Quant à Piet, il était enthousiaste de son nouvel ami ; Rychie et Annie traitaient celui-ci fraternellement, avec cette nuance de réserve délicate qui sied aux jeunes filles.

Tout le monde était charmé, comme Katrinka Rynwald au départ, de la nouveauté et de l’agrément de cette façon de voyager. Pas d’efforts, nulle fatigue, un paysage charmant, variant d’aspect à chaque coude de la rivière. C’était plutôt une excursion en bateau, une promenade, qu’un voyage. Les dangers passés et futurs en furent momentanément oubliés.

Les cavaliers aquatiques contribuaient aussi à égayer la route par leurs prouesses amusantes. C’étaient entre eux des luttes à n’en plus finir, de véritables régates dont les serviteurs donnaient le spectacle à leurs maîtres.

Avec la passion du jeu qui caractérise leur race, les jeunes Boërs finirent par engager, d’un radeau à l’autre, des paris sur les indigènes. Chacun gageait pour son serviteur préféré. Les Cafres étaient généralement vainqueurs dans ces courses d’un nouveau genre. Cependant Smutz leur disputait chaudement la partie. Il tenait haut et ferme le drapeau hottentot, et les enjeux mis sur la tête du guide étaient rarement perdus.

Toujours perché sur les épaules de son ami, Gret grimaçait de plaisir. À plusieurs reprises, Smutz avait cherché à se débarrasser de ce gênant compagnon ; mais, à chaque tentative de ce genre, le singe enfonçait ses griffes dans la chevelure laineuse du Hottentot, qui finissait par laisser Gret maître du terrain. Katrinka avait beau rappeler ce petit démon, elle ne put obtenir son retour sur le radeau que lorsque le singe fut las de recevoir des éclaboussures.

La nuit vint mettre un terme à ces jeux nautiques. Le baas ne se souciait pas de naviguer dans l’obscurité sur une rivière inconnue