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lianes pour la construction de leurs radeaux.

Sur ce qu’on aurait pu appeler le gaillard d’arrière de chaque embarcation, une des bâches des anciens chariots formait une tente supportée par des étais. C’était la cabine, séparée en deux parties, dont l’une servait uniquement aux femmes. À l’avant du radeau, s’élevait une sorte de hangar ou de maison rustique au toit de roseaux et de feuilles de palmier. C’était le logis des hommes de couleur.

Un grand échafaudage, laissant à droite et à gauche assez d’espace pour circuler, occupait la partie centrale du radeau. C’était là qu’était emmagasinée toute la cargaison, y compris, bien entendu, les défenses des éléphants tués au passage de la rivière. Les peaux de bêtes fauves, le poil en dehors, recouvraient cet amas de colis comme d’une enveloppe imperméable et permettaient aux bagages de supporter impunément les intempéries de la traversée.

Dernier détail qui mérite d’être mentionné : au bout des radeaux une petite plateforme en terre glaise servait de fourneau à chaque famille.

Ainsi organisés, les voyageurs pouvaient se laisser aller au fil de l’eau, manger, dormir dans leurs embarcations et n’aborder que lorsqu’ils auraient envie de se promener sur la rive.

L’embarquement s’effectua en bon ordre, sans l’ombre d’un accident ; mais il y eut un moment d’hésitation de la part de Karl de Moor, qui ne savait à laquelle des trois familles il pouvait demander l’hospitalité.

« Eh bien ! lui cria le baas, qu’attendez-vous, de Moor, pour venir avec nous ?

— Vous m’acceptez donc ? balbutia le chasseur.

— Comment ! je voudrais bien voir que vous ne fussiez pas des nôtres. Piet compte sur son ami Laurens, moi je veux absolument vous garder près de moi. Tant pis si vous trouvez que je vous tyrannise.

Après avoir mis de Moor à l’aise par cette ronde bonhomie, le baas donna ses derniers ordres à l’équipage. On déroula les cordes qui tenaient les radeaux captifs ; à force de rames, on dirigea les embarcations vers le milieu de la rivière, et il n’y eut plus ensuite qu’à se laisser aller à la dérive !

« Lâchez tout ! » cria le baas.

Et les trois radeaux glissèrent successivement devant le quai, c’est-à-dire devant la berge en face du mowana.

« Adieu au camp ! » dit Katrinka, en adressant de la main un salut au rivage dont le radeau s’éloignait.

Pour cette mise à flot qui pouvait avoir ses dangers, Piet avait trouvé moyen de se faufiler sur l’embarcation de la famille Rynwald.

« Bon courage, Katrinka, dit-il à la jeune fille ; mais je suis moins ingrat que vous envers le camp du mowana. Je me souviendrai toujours que j’ai eu là de douces émotions. »

Katrinka rougit et ne répondit rien ; mais certains silences sont plus éloquents que les phrases les mieux fleuries.

« Et puis, continua Piet, si nous avons eu des épreuves, c’est une raison d’espérer mieux de l’avenir. »

Klaas Rynwald, qui les écoutait, leur dit d’un ton amical :

« Mes enfants, tant que les nôtres sont sains et saufs, nous n’avons pas le droit de nous plaindre. Jusqu’ici aucun de nous n’a été malade, n’a subi d’accident sérieux. Au milieu de nos désastres, il faut nous féliciter de n’avoir pas été éprouvés dans ce sens. Prions Dieu qu’il en soit toujours ainsi et que nous n’ayons à déplorer que des pertes d’argent.

— Père, dit Katrinka, cette manière-ci de voyager est plus agréable que notre traversée du Karrou dans ces chariots qui avançaient si lentement.

— Une promenade sur l’eau a toujours été considérée comme une partie de plaisir, dit vivement la blonde Meistjé. Mais, par cette chaleur, le mode de transport que nos domestiques ont adopté est encore plus agréable.

— Ah ! fit Piet en riant, vous commencez donc à apprécier leurs chevaux d’eau. Vous en êtes-vous assez moquées hier, vous et Katrinka !

— Eh bien ! nous avions tort, avoua gentiment Katrinka ; mais il n’est pas étonnant que, n’ayant jamais vu de ces chevaux, nous n’ayons pas compris tout d’abord leur usage.

— Il faut convenir, reprit le jeune homme, que cette invention est ingénieuse et fait honneur aux naturels de l’Afrique. Regardez nos gens rire et s’amuser. Quels grands enfants que ces indigènes ! »

Entre les radeaux, l’on entendait des éclats de rire et l’on apercevait des formes humaines bizarrement étendues sur l’eau. C’était toute une cavalerie aquatique, ce que les naturels nomment des chevaux d’eau.