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Le Koker-boom est une espèce d’aloès dont le tronc court et large possède la propriété de devenir par la dessiccation aussi léger que le liège.

Sous la haute direction du baas, on installa au bord de l’eau un véritable chantier maritime. Après avoir abattu tous les koker-booms du voisinage, on les scia de façon à former des poutres d’égales dimensions. Chaque pièce de bois mesurait environ trois pieds de diamètre et onze pieds de longueur.

On dressa ensuite ces poutres en piles, qu’on soumit à l’action du feu afin de les amener à cet état de dessiccation qui devait les rendre propres à ce qu’on en attendait. On eût cherché longtemps avant de rencontrer une meilleure charpente de radeau.

Le bouquet de feuilles aiguës comme des baïonnettes qui surmontaient chaque koker-boom fut naturellement enlevé et servit, avec les menus débris, à alimenter les feux qui brûlaient nuit et jour auprès des piles de bois.

Il était fort heureux qu’on eût pu se passer de l’aide qu’on attendait d’Hildy, car, malgré tous les soins de Piet, le brave animal périt pendant qu’on était ainsi occupé à préparer les éléments des radeaux. Ce fut un regret pour tous que la perte du dernier animal domestique resté à la colonie ; pour Piet, ce fut un véritable deuil. Il avait tellement espéré sauver Hildy ! Celui-ci se serait refait de ses fatigues ; mais il n’avait pu guérir de la pneumonie gagnée dans la prairie sous l’action de la pluie d’orage tombant sur son corps échauffé par une course furieuse.

Laurens avait acquis bien des notions utiles dans sa triste vie de prisonnier chez les Bosjemens. Sur ses indications, Jan Van Dorn trouva, parmi les serviteurs de la caravane, deux Macobas du lac Ngami, très versés dans l’art de la navigation.

Les Macobas sont les bateliers et les pécheurs du lac Ngami ; ils ont quelque affinité avec les Bechuanas, quoique d’une race et d’une classe à part. Leur teinte est beaucoup plus foncée que celle des Bechuanas.

Les deux Macobas de la caravane étaient deux pauvres garçons que les mauvais traitements du chef Letchoulatébé avaient forcés de fuir leur pays. Reconnaissants de l’humanité avec laquelle le baas les traitait, ils mirent tout leur savoir-faire à l’œuvre, et, grâce à eux, les radeaux furent construits selon toutes les règles de l’art. L’opération fut même moins longue qu’on ne l’avait pensé d’abord.

Tous les hommes disponibles ne furent pas employés à ce travail. Il ne suffisait pas en effet d’établir des moyens de transport. Qui pouvait dire combien de temps durerait le voyage ! Les émigrants s’engageaient à l’aventure ; ils avaient à parcourir des contrées inconnues, même à leur guide Smutz, même à Laurens qui ne connaissait que le district des Bosjemens.

Tout portait à espérer qu’ils arriveraient au Limpopo et de ce fleuve à l’océan Indien, selon les conjectures de Laurens ; mais nul ne pouvait les renseigner ni sur la longueur du trajet ni sur les obstacles à surmonter. Il s’agissait par conséquent d’être abondamment approvisionné pour ne pas craindre la famine. On ne devait pas compter sur les hasards de la route pour garnir le garde-manger. Le plus sage était de se mettre en mesure de se passer de tout supplément de vivres. Tel était du moins l’avis du baas.

Aussitôt les chasseurs s’étaient mis en campagne. Des élans, des antilopes et jusqu’à une girafe, leur fournirent de la viande qu’ils convertissaient au fur et à mesure en butlong. Ils ne comptaient pas seulement sur les feux du soleil pour mener à bien cette opération. On allumait, sous les rangées de chair fraîche, des feux dont la fumée et la chaleur modérée activaient le « séchage » de la viande.

On s’en souvient peut-être, les Vee-Boërs avaient préparé de la sorte la chair des buffles tués avant leur départ subit du camp ; mais, dans la hâte de leur fuite devant l’invasion des tsétsés, ils avaient abandonné les guirlandes de butlong qui n’étaient pas assez sèches pour pouvoir être emportées. Ils avaient pensé revenir les prendre un peu plus tard ; mais elles avaient été suspendues trop bas, et les chacals en avaient fait leur profit. À leur retour, les émigrants n’avaient plus trouvé que les ficelles attachées d’une branche à l’autre du mowana.

Tandis que les charpentiers maniaient la scie et la hache, les chasseurs, le fusil en bandoulière, battaient la prairie. Karl de Moor, dont le caractère était devenu aussi communicatif et sociable qu’il était sombre autrefois, dirigeait ces expéditions. Les chasseurs revenaient rarement bredouille. Beaucoup d’animaux sauvages qui se dirigeaient vers la rivière, soit