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jeune homme, Piet se retira vivement. Laurens le suivit jusqu’à la porte ; quand il rentra, il fut surpris de trouver son père à genoux et pleurant sur le paquet de vêtements que Piet Van Dorn venait de mettre si fraternellement à la disposition du fugitif.


CHAPITRE XV
LE PÈRE DE LAURENS


Le lendemain matin, Karl de Moor sortit de sa hutte après avoir recommandé à son fils d’y rester, de ne pas se montrer dans le camp avant son retour. Laurens promit d’obéir à son père, et il demeura seul à rêver sur les causes qui avaient empêché celui-ci de trouver une minute de repos pendant la nuit et qui avaient arraché tant de sanglots à sa rude poitrine. Ce n’est pas de cette façon fiévreuse que se manifeste la joie ; mais Laurens ne pouvait douter du bonheur qu’avait eu son père à le retrouver, et la cause de tant d’agitation devait rester un mystère pour lui.

Lorsque Jan Van Dorn aperçut Karl de Moor, venant à sa rencontre, il ouvrit ses deux bras pour donner une accolade cordiale à son heureux compagnon ; mais Karl de Moor recula de deux pas afin de ne pas recevoir cette preuve de sympathie, et, baissant la tête, il dit :

« Non, baas… Je vous remercie ; je suis touché au fond de l’âme ; mais je ne puis accepter de vous une preuve d’amitié que vous regretteriez dans un quart d’heure de m’avoir accordée.

— Eh ! quoi, dit le baas avec bonhomie, est-ce que la joie vous a fait tourner la tête, mon ami ?

— Elle a changé quelque chose en moi, c’est certain, répondit Karl de Moor qui tenait ses yeux baissés, et c’est là-dessus que je souhaiterais un entretien avec vous.

— Tout de suite ! répondit Jan Van Dorn avec empressement ; mais ne serait-il pas mieux d’abord que vous me présentiez votre fils pour que je lui souhaite la bienvenue ! Je vous préviens que Piet raffole déjà de votre Laurens et que tout notre jeune monde, d’après le récit de mon fils, grille de lui faire fête. Allons-nous vers votre hutte ?

— Non, baas, s’il vous plaît, répondit de Moor avec le même ton bas et humilié. J’ai d’abord une communication à vous faire, et, si vous y consentiez, j’aimerais à être hors du camp avec vous pour cette causerie.

— Qu’à cela ne tienne. Il fait bon près de la rivière à la fraîcheur du matin. »

Quand les deux hommes furent parvenus dans l’allée de grands arbres qui longeaient le cours d’eau, Jan Van Dorn se tourna vers Karl de Moor, et lui dit en souriant :

« Eh bien ! cette communication ?

— C’est un aveu, dit Karl de Moor avec une expression de douleur poignante, c’est l’aveu le plus humiliant qu’un homme égaré puisse faire à un honnête homme. »

Le baas regarda la figure contractée de Karl de Moor avec quelque inquiétude ; il commençait à croire qu’une joie trop subite avait porté du trouble dans les facultés mentales de son compagnon ; mais peu à peu, à mesure que celui-ci s’accusait, d’une voix sourde, mais distincte, ce soupçon fit place chez le brave Vee-Boër à la surprise, à cette sorte de hérissement de la probité indignée contre des manœuvres viles. La large face de Jan Van Dorn s’injectait de sang ; ses lèvres, tordues par le mépris, s’agitaient vaguement, et ses yeux bleus fulguraient.

« Vous avez fait cela, vous ! dit-il enfin d’une voix rauque, oppressée par le poids des méfaits dont il avait l’aveu, et plus encore par celui du crime médité contre Piet. Oh ! c’est atroce ! c’est ignoble ! »

Karl de Moor écoutait cet arrêt tête basse,