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Piet alla droit à l’inconnu :

« Qui êtes-vous ? demanda-t-il.

— Je suis Laurens de Moor, répondit le fugitif. Cinq ans de captivité chez les Bosjemens m’auraient-ils rendu méconnaissable pour mon père !… »

Et d’un élan irrésistible, il se jeta dans les bras de Karl de Moor.

Celui-ci s’arracha le premier à cette longue étreinte, mais ce fut pour se retourner vers Piet.

« Sans votre intervention, dit-il, j’aurais tué mon pauvre fils. »

Et attirant à lui la tête de Piet, il baisa le jeune homme au front.

« Laissez-moi vous remercier aussi, dit Laurens en tendant la main au fils du baas. Mais de quel nom dois-je nommer mon sauveur ?

— Je me nomme Van Dorn.

— Van Dorn, répéta Laurens. Seriez-vous parent de Jan Van Dorn ?

— Je suis son fils.

— Ah ! s’écria Laurens, votre père mérite d’avoir un fils tel que vous. Je ne connais pas d’homme meilleur, d’ami aussi dévoué, de chef plus sagace que Jan Van Dorn. Tous mes malheurs datent du jour où j’ai commis la faute de quitter la troupe de chasseurs qu’il commandait. »

Si Piet et Laurens avaient pu songer à regarder Karl de Moor, ils auraient été effrayés de la pâleur qui s’était répandue sur ses traits à cette révélation de son fils ; mais les jeunes gens étaient trop occupés de leur entrée en connaissance pour observer autour d’eux.

« Quel incroyable hasard nous a réunis dans ce désert ? demanda Laurens. Que je m’y trouve, moi, c’est naturel, mais vous et mon père avec vous !

Piet lui expliqua les motifs de l’émigration de la caravane, et il termina ce récit en disant au jeune homme :

« Nous avons été cruellement éprouvés et nous sommes maintenant arrêtes, sans pouvoir avancer ni reculer. Je ne sais ce que nous serions devenus si votre père ne nous avait suggéré l’idée d’aller demander secours à Mosélékatsé. Nous devons partir demain… Vous nous accompagnerez, n’est-ce pas ?

— Vous ferez bien de renoncer à ce voyage, répondit Laurens. Mosélékatsé et les Tébélés sont en guerre avec cette tribu de Bosjemens dont j’étais le prisonnier. C’est même à cette circonstance que j’ai dû de réussir à m’échapper. Me trouvant moins surveillé, j’en ai profité pour m’enfuir. Je suis resté plusieurs jours caché dans les bois ; puis je me suis mis en quête d’un cours d’eau et je me suis construit, tant bien que mal, une pirogue.

— Et où allais-tu ? demanda Karl de Moor qui commençait à redevenir maître de lui-même.

— J’avais un plan assez sensé, je crois, et le voici : je suis à peu près certain que cette rivière-ci se jette dans le Limpopo. Je comptais descendre successivement la rivière, puis le fleuve jusqu’à l’embouchure du Limpopo. Il se trouve là un petit port de mer où l’on m’aurait rapatrié.

— Mais, s’écria Piet, qui nous empêche de reprendre votre projet pour le compte de notre petite colonie ? Puisqu’il ne faut plus espérer d’aide de la part des Tébélés, je ne vois pas de meilleur expédient que le vôtre. »

Le danger pressant de la caravane reprenant le dessus dans leur esprit, Karl de Moor, son fils et Piet s’acheminèrent de compagnie vers le mowana en discutant des voies et moyens de ce plan de salut.

Lorsque le père et le fils, si miraculeusement retrouvé, furent restés seuls sous le toit de hartebeest qui servait d’asile à Karl de Moor, ils en eurent pour longtemps à échanger leurs tendresses ; mais ce ne fut pas sans une interruption de la part de Piet.

Après avoir frappé à la porte de claies garnies de branchages qui fermait la retraite de Karl de Moor, il entra de cette allure franche et gaie, qui lui était particulière, et dit en déposant à terre un paquet de vêtements :

« Excusez-moi si je ne vous laisse pas jouir en paix de votre première heure de réunion ; mais je vais vous quitter bien vite après vous avoir transmis les compliments bien cordiaux de tous les miens, qui seront heureux demain matin de saluer en Laurens de Moor un nouveau membre de notre colonie. Voici en plus de quoi vêtir Laurens en Boër et non plus en sauvage, Vous ne ferez pas fi de quelques-uns de ces objets, mon cher Laurens, parce que je les ai déjà portés. C’est ce que ma mère a trouvé de meilleur dans ma garde-robe ; mais elle m’a chargé de vous dire qu’elle mettra à votre service son talent de couture et celui de mes sœurs pour vous confectionner du neuf. Nous avons encore des pièces de toile et de drap dans notre stock. En attendant, Laurens, contentez-vous de mes habits. »

Et, pour échapper aux remerciements du