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— Et quatre au moins pour le traverser, interrompit de nouveau Karl de Moor.

— Oh ! nous avons des jarrets solides, » fit Piet en affectant un ton léger pour rassurer Rychie et Annie, ainsi qu’une autre personne aux yeux noirs qui l’écoutait avec anxiété.

Karl de Moor continua :

« Deux jours encore pour arriver dans le canton où MosélékatSé réside ordinairement, cela fait huit jours bien comptés.

— Mais, objecta Katrinka, le retour pourra être plus prompt, puisque vous aurez des chevaux.

— Le chef des Tébélés peut être absent, mademoiselle. La négociation au sujet des bestiaux peut durer plus longtemps qu’on ne croit. Il faut tout prévoir… Je pense qu’on aurait tort de compter sur notre retour avant dix-sept ou dix-huit jours.

— Ah ! que c’est long ! soupira la jeune fille en regardant Piet et Ludwig. Et si vous alliez être attaqués comme nous l’avons été nous-mêmes !…

— Vous oubliez que nous savons nous défendre, dit Piet. Ne craignez rien, Katrinka. D’ailleurs, — et il baissa la voix, — qu’importe le danger ! Je suis tellement heureux de pouvoir faire quelque chose pour vous ! »

Katrinka leva sur le jeune homme des yeux chargés de gratitude.

« Nous vous devrons la vie, murmura-t-elle. Comment nous acquitter jamais envers vous ?

— Je vous le dirai au retour, répondit le jeune homme. En attendant, puis-je espérer que vous ferez des vœux pour moi en mon absence, et que vous ne trouverez pas mes sœurs ennuyeuses si elles vous parlent constamment du voyageur ?

— Oh ! Piet, quelle question vous m’adressez ! C’est moi qui chercherai sans cesse Rychie et Annie pour occuper la longueur de l’attente, pour tâcher de l’oublier en parlant de vous.

— Merci, Katrinka ; ce mot-là me fera partir plus heureux. Je puis donc espérer que je ne vous suis pas tout à fait indifférent ?

— Piet, quoi que vous réserve l’avenir, vous n’aurez jamais d’amie plus dévouée que moi », s’écria la jeune fille presque involontairement.

Et, toute confuse, elle alla se réfugier auprès de sa mère, sans paraître entendre Piet qui lui disait :

« Alors, vous me permettez de… »

La permission que sollicitait Piet, nous ne savons ce qu’elle pouvait être. Mais il est à présumer que, malgré la suspension de la phrase du jeune homme, Katrinka en avait parfaitement saisi le sens.

Pendant cet aparté, Mme Van Dorn s’entretenait en particulier avec Karl de Moor.

« Karl, lui disait-elle, je vous confie mon fils. Il est si jeune, si fougueux, que je n’ai qu’une confiance limitée dans son esprit de conduite. Sa bravoure n’est pas encore réglée par la prudence, et j’ai du souci de le voir partir. Pourtant je ne dirai pas un mot pour l’en empêcher, ce cher garçon. À défaut de son père dont la place est avec la caravane, c’est à lui de commander cette expédition. C’est son devoir en qualité de fils du baas. Promettez-moi de veiller sur lui et je serai tranquille, c’est-à-dire je serai aussi peu inquiète qu’il soit possible dans pareille occasion. »

Dès les premières paroles de Mme Van Dorn, une contraction nerveuse avait plissé le front de son interlocuteur. En entendant ces recommandations maternelles, il fit un geste de la main comme pour se récuser ; mais presque aussitôt il réprima son émotion :

« J’ai été père, madame, répondit-il d’une voix presque rude. Je ne puis l’oublier. »

Mme Van Dorn lui tendit la main avec un élan spontané.

« Merci, lui dit-elle, voilà qui me rassure mieux que les plus chaudes promesses. Vous êtes un véritable ami pour nous. »

Mme Van Dorn ne soupçonnait pas les sentiments qui agitaient secrètement Karl de Moor. Elle était à cent lieues d’imaginer que le cœur de cet homme renfermait une de ces haines cachées qui attendent, à la mode des fauves aux aguets, le moment favorable pour s’élancer sur leur proie.

Telle était pourtant la disposition d’esprit de Karl de Moor. Son âme, dès. longtemps ulcérée, couvait l’abominable dessein d’une vengeance qu’il se croyait en droit d’exercer contre le baas et contre sa famille, quand le moment serait venu de l’accomplir. Il n’avait suivi la caravane qu’avec l’intention de la sacrifier tout entière à l’exécution de ses desseins. La vie seule de Jan Van Dorn ne lui paraissait pas une expiation suffisante de ce que lui-même avait souffert. Son effroyable rancune voulait d’autres victimes, et en premier lieu celle-là même que Mme Van Dorn