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CHAPITRE XIV
ÉVÉNEMENTS INATTENDUS


Deux jours plus tard, les émigrants étaient tout à fait réinstallés sous le mowana, dans l’enceinte de plantes épineuses qui avait été établie lors du premier campement, et, sauf l’enclos de la prairie, veuf de ses convives à quatre pattes, l’animation de la colonie était la même qu’autrefois.

Les bâches des chariots avaient servi à dresser trois tentes qui servaient d’asile aux femmes et aux enfants. Quant aux hommes, les blancs s’étaient construit une maison d’hartebeest.

C’est une hutte de construction grossière ; des roseaux et des herbes, agglomérés par une sorte d’emplâtre de boue, en forment les murs et le toit. Le nom de cette construction naïve dérive d’une vague ressemblance de sa forme avec celle de l’antilope nommée hartebeest. Ces huttes ne sont pas seulement habitées par les indigènes de l’Afrique méridionale. Les colons des classes pauvres, et spécialement les Vee-Boërs, en font usage lorsqu’ils se fixent pour quelque temps dans un canton.

Quant aux domestiques, de mœurs trop primitives pour sentir le besoin d’un abri nocturne, ils passaient la nuit en plein air, soit perchés comme des oiseaux dans les branches du mowana, soit nichés dans les recoins formés par les troncs des arbres entrelacés, soit enfin dans des huttes de termites. Les plus ingénieux, — on devrait dire : les plus raffinés, — avaient creusé dans le mowana des cavités où ils se blottissaient, comme un lièvre en son terrier.

Il était convenu que Piet partirait le lendemain avec Karl de Moor et Ludwig Rynwald pour aller se ravitailler, auprès du chef des Tébélés, des chevaux et des bestiaux sans lesquels les émigrants ne pouvaient continuer leur route. Cinq ou six domestiques devaient les accompagner. Une plus nombreuse suite n’aurait servi à rien ; six Cafres étaient suffisants pour conduire le bétail ; et moins on serait de voyageurs, moins on aurait à emporter de vivres ; cette question avait son importance pour une ambassade chargée de traverser le désert à pied.

Ce dernier soir, le guide Smutz sollicita la permission de se joindre à la petite troupe. Il fit valoir sa connaissance de la contrée à parcourir, et n’oublia naturellement aucun argument propre à lui valoir l’autorisation du baas. Mais Karl de Moor s’opposa fortement à ce projet.

« À quoi bon ? dit-il. Je connais le chemin. » Est-ce par doute de ce que j’avance que vous insistez tant pour nous suivre ? »

Ainsi posée, la question était résolue. Le baas fit un signe au guide. Smutz cessa ses prières.

Katrinka était bien triste. Elle avait besoin de faire appel à toute sa force d’âme pour envisager cette expédition, sans doute dangereuse, dans laquelle s’engageaient, pour le salut commun, son ami Piet et son frère Ludwig.

« Combien de temps durera votre absence ? demanda-t-elle aux deux jeunes gens.

— Aussi peu que possible, s’écria Piet.

— Ne précisez pas de jour, mynherr Piet, dit Karl de Moor. Le plus léger obstacle n’aurait qu’à retarder l’époque fixée, vous seriez cause que Mlle Katrinka vous croirait perdus.

— Karl de Moor a raison, dit à son tour Ludwig. En fixant un trop bref délai, nous pourrions infliger aux nôtres des angoisses inutiles.

— C’est un calcul bien simple, reprit Piet : deux jours pour retrouver le Karrou.