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deux pattes sur un morceau friand, ou courant çà et là en quête d’une proie plus savoureuse !

Si cette ménagerie d’affamés s’apercevait de la présence d’êtres humains dans les chariots, c’en était fait des jeunes Boërs et de leurs serviteurs !

Heureusement, les bâches des wagons étaient restées à demeure sur leur armature de bambous. Les jeunes gens baissèrent vite les épais rideaux de cuir attachés aux parois des voitures, en prévision de cas analogues. Rapprochés par le danger commun, ils se serraient les uns contre les autres, sans distinction de rang ni de race, les Boërs à côté de leurs domestiques noirs et jaunes, tous sans faire un mouvement. C’est à peine s’ils osaient se permettre de causer à voix basse. D’un coup de patte, un lion eut déchiré les rideaux comme une simple feuille de papier. Mais il était plus probable que, si on laissait ces fauves se repaître sans attirer leur attention, ils se retireraient sans avoir remarqué la présence d’une proie vivante à côté de tant de proies mortes.

Cette prudence était au-dessus des forces de toute cette bouillante jeunesse. Après le premier moment d’émotion, les Boërs s’impatientèrent de rester inactifs, et il leur sembla lâche de se cacher, de rester à la merci du hasard qui amènerait près des wagons l’un ou l’autre de ces rôdeurs de nuit.

« Si nous leur livrions bataille ? » dit Hendrik le premier.

Un murmure d’assentiment prouva qu’il exprimait la pensée de tous. Loin de retenir ces jeunes imprudents, Piet, leur chef actuel, les aurait plutôt poussés à tenter cet exploit. Tous ses instincts de chasseur étaient en éveil. Il y avait dix minutes que son fusil lui brûlait les doigts.

« C’est dit ! s’écria-t-il, et tâchons de nous distinguer. »

Si le baas avait été présent, il aurait refréné cette ardeur intempestive. Mais allez demander tant de sagesse à une tête de vingt ans !…

Peu d’instants après, les échos du ravin répercutaient un feu de peloton des mieux nourris.

La surprise et la crainte rendirent muets les convives si bruyants tout à l’heure. Les canidæ, les hyènes et les chacals prirent la fuite à l’instant. Plus intrépides, les félins tentèrent un assaut ; mais, avant qu’ils eussent découvert leurs ennemis, invisibles sous l’abri des chariots, une seconde et une troisième décharge trouèrent leurs rangs et les firent reculer. Ils abandonnèrent la partie, et, de ceux qui restèrent, pas un ne devait sortir vivant de la vallée du ravin, car les jeunes Boërs manquaient rarement leur coup. Leurs roërs faisaient de la bonne besogne.

Parmi ceux qui étaient tombés, les chasseurs relevèrent avec orgueil quatre lions, deux lionnes, trois léopards et une couple de chectals. Autant de peaux à joindre aux fardeaux du lendemain. Mais ce supplément de bagage ne déplaisait pas aux porteurs.

Pour prévenir le retour des fauves, les jeunes gens allumèrent un grand feu ; puis ils allèrent dormir et rêver de leur triomphe.

Avant de prendre un repos si bien gagné, Piet avait eu soin de désigner un de ses compagnons pour monter la garde. Il était convenu que la sentinelle se ferait relever au bout d’une heure ; cependant la chronique assure qu’elle ne fut pas remplacée, non par excès de zèle de la part du veilleur, mais parce que la lassitude l’emporta sur la consigne reçue.

Mais, pour être mal gardés, les dormeurs n’en furent pas moins tranquilles. Aucune autre alerte ne vint les troubler cette nuit-là. Les rôdeurs de nuit avaient été trop mal reçus pour revenir de sitôt.