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comptait faire qu’un voyage ce jour-là, parce que la journée s’avançait.

Les premiers émigrants qui arrivèrent au camp du mowana constatèrent que l’essaim de tsétsés n’y séjournait plus. C’était là une bonne nouvelle. Cela permettait d’utiliser aux transports l’unique cheval qui restait. Mais Piet obtint de son père qu’on laissât à Hildy le temps de se remettre en bon état. Outre son attachement à son brave cheval, le jeune homme avait une bonne raison à alléguer pour qu’on respectât la convalescence d’Hildy. Il avait été décidé que Piet partirait avec Karl de Moor pour aller demander secours aux Tébélés, et Hildy devait être chargé des présents à offrir au chef de ces sauvages amis. Il y avait donc réel intérêt à ne pas abuser des forces renaissantes du cheval en l’employant au déménagement.

Le lendemain et le jour suivant, chaque porteur fit trois fois le trajet du ravin au camp du mowana. L’aller était pénible. Chacun pliait sous le faix ; mais le retour s’effectuait d’un pas vif et rapide. Le calme du baas relevait tous les courages. Le bruit de la demande de secours à Mosélékatsé avait transpiré parmi les émigrants. Tout le monde était rassuré.

À la fin du troisième jour, il ne restait guère dans le camp du ravin que les chariots recouverts de leurs bâches. Cinq ou six jeunes Boërs, accompagnés d’une douzaine de serviteurs cafres et hottentots, entreprirent un dernier voyage sous la conduite de Piet, dans l’intention de traîner les wagons au camp du mowana.

Il faisait presque nuit lorsque les jeunes gens arrivèrent au ravin. Brisés par le rude exercice des jours précédents, ils convinrent de se reposer tout de suite et de se lever le lendemain dès le point du jour pour accomplir la dernière corvée du déménagement. Ils se promettaient de dire alors un adieu définitif à ces tristes rochers.

« Faut-il allumer du feu ? demanda Ludwig.

— Bah ! répondit Piet, il serait nécessaire pour cela d’envoyer les Cafres en quête de bois, et ces pauvres gens n’en peuvent plus. J’en juge par moi-même. Mais si vous pensez qu’il y ait du danger…

— Eh ! non ! eh ! non ! dirent les jeunes gens. Une nuit est vite passée. Allons dormir. »

Les blancs se retirèrent dans les chariots ; les hommes de couleur s’abritèrent sous les voitures, enveloppés dans leurs karosses.

Les karosses sont des sortes de couvertures en peaux de bêtes cousues ensemble que portent la plupart des peuplades barbares du sud de l’Afrique. On emploie diverses peaux pour les fabriquer ; mais celles du léopard et surtout celles du chectal ou léopard chasseur sont les plus estimées. Le karosse confectionné avec la dépouille de ce dernier animal est le vêtement distinctif des chefs.

Les dormeurs ne tardèrent pas à apprendre qu’on n’a pas le droit, dans le désert, de négliger les précautions. Ils avaient à peine fermé l’œil lorsqu’ils furent réveillés en sursaut par un vacarme inouï.

On eût dit que toutes les bêtes fauves de l’Afrique s’étaient donné rendez-vous dans le ravin. Les nuits précédentes, de grands feux avaient écarté ces voisins incommodes, et les hurlements lointains qui étaient parvenus à l’oreille des Boërs ne ressemblaient pas à cette atroce cacaphonie.

Le rugissement du lion, le « gurr » du léopard, le grondement du chectal, le miaulement du serval formaient un concert enragé. La partie de dessus sur cette basse était faite par les hyènes, hurlant, riant, criant tour à tour. Enfin les chacals, brochant sur le tout, ajoutaient leurs abois hargneux à ce chœur épouvantable dont les échos du ravin doublaient et triplaient la sonorité.

Comment dormir au milieu de ce concert de fauves ? Les jeunes gens se figuraient être assaillis par un cauchemar, lorsque leurs serviteurs montèrent précipitamment dans les wagons pour se blottir à leurs côtés.

« Voyez, mynheers, regardez dehors ! » disaient-ils en tremblant de tous leurs membres.

À la clarté de la lune, on apercevait les artistes de ce sabbat infernal.

Des fauves se disputaient les cadavres des bestiaux encore épars çà et la ; ils les déchiquetaient, les rongeaient et, dans leur avidité, ils se livraient des duels furieux pour garder ou conquérir des morceaux de choix. Les derniers arrivés étaient traités en ennemis dont les premiers venus ne voulaient pas admettre les prétentions.

« Ah ! quelle folie d’avoir oublié de ranimer nos feux ! » s’écria Piet en se frappant le front.

IL y avait, en effet, de quoi glacer le sang dans les veines des plus braves. Quel spectacle que celui de ces fauves debout, accroupis, les