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de perdre une partie de nos bêtes, nous aurons au moins de quoi en acheter d’autres.

Lorsque les chariots reprirent leur marche, leur chargement ordinaire s’était accru de plusieurs centaines de livres d’ivoire de la plus belle qualité, ce dont tous les émigrants étaient satisfaits.

Seul, Karl de Moor ne prenait nulle part à la joie générale ; mais on était trop habitué à sa taciturnité pour s’en étonner. La tête baissée, les sourcils froncés, il pensait :

« Ils ont de l’ivoire, soit. Mais je voudrais bien savoir comment ils le transporteront quand tous leurs bœufs seront morts… Encore un peu de temps et tu seras vengé, mon cher fils, mon pauvre Laurens ! »


CHAPITRE XIII
L’ŒUVRE DES TSÉTSÉS


Quarante-huit heures se sont écoulées depuis que la caravane a quitté le camp du mowana. Nous la retrouvons arrêtée, mais tout est différent : l’emplacement de la halte, le paysage environnant et jusqu’aux physionomies des émigrants, ouvertes et joyeuses jadis, maintenant assombries.

Les grands wagons rangés en carré tronqué rappellent seuls l’ancien camp. On ne voit plus auprès le troupeau de bétail paissant avec les chevaux sous la surveillance des chiens. Le bruit, le mouvement animé ont fait place au silence, à la langueur morbide de la consternation.

Les émigrants n’échangent même plus leurs tristes pressentiments. D’un œil morne, ils contemplent le sol, jonché de cadavres.

L’œuvre de destruction des mouches empoisonneuses est accomplie. La mort est souveraine maîtresse en ce lieu. Tous les quadrupèdes de la caravane, tous ces humbles serviteurs de la colonie sont là, froids et raides, les pattes étendues, dans la suprême convulsion de leur douloureuse agonie !…

Les infortunés Boërs s’étaient efforcés d’espérer jusqu’à la dernière minute ; mais les symptômes d’empoisonnement se manifestèrent successivement chez la plupart des animaux. On les voyait, le poil hérissé, grelotter comme en plein hiver sous une température tropicale. Ils refusaient la nourriture ; leurs yeux se troublaient ; leurs mâchoires enflées se couvraient d’ulcères ; ils tombaient dans un état d’amaigrissement effrayant et finissaient parfois dans des accès assez semblables à ceux des hydrophobes. On avait dû se résoudre à tuer ceux qui devenaient dangereux.

D’autres périssaient d’une façon encore plus extraordinaire. C’étaient en apparence les plus valides, et ceux qu’on ne supposait pas atteints par le dard des tsétsés. On les laissait le soir paisiblement endormis, au matin suivant, on les retrouvait morts.

Un bon tiers périt de la sorte, et pourtant ce ne fut pas faute de soins. On avait essayé de tous les remèdes imaginables, car on ne pouvait croire que, d’une si grande quantité d’animaux domestiques, pas un n’eût échappé à l’aiguillon venimeux des tsétsés. Devant l’événement, il fallut bien se rendre à l’évidence.

Seul entre tous, Hildy, le brave cheval de Piet, ne fut pas atteint. Cette exception heureuse tenait-elle à son absence du camp lors de l’invasion des mouches empoisonneuses, ou bien aux soins que lui avait prodigués son maître ? Le second cas était plus probable, car le cheval d’Hendrik, revenu sous le mowana en même temps qu’Hildy, avait succombé comme toutes les autres montures.

Les mouches empoisonneuses avaient-elles