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— Je n’aurais pas même souri s’il n’avait été injuste envers Piet, répondit la sœur aînée.

— C’est très vilain d’être jaloux, reprit Meistjé en poussant un demi-soupir ; mais s’il ne tenait pas tant à plaire à une personne de ma connaissance…

— Qui ne lui en sait pas le moindre gré, interrompit Katrinka.

— Il serait moins injuste, continua Meistjé. La jalousie conseille toujours de travers ; mais, ce défaut à part, Andriès est un brave jeune homme, plein de qualités.

— Puisque tu ne lui trouves qu’un seul défaut, petite sœur, tu devrais bien te charger de l’en corriger, » dit Katrinka en souriant.

Meistjé rougit et ne trouva rien à répondre…

La gaieté involontaire causée par la chute d’Andriès ne fut pas de longue durée. Tous les esprits étaient péniblement occupés des ravages qu’avaient pu causer les tsétsés parmi les animaux de la caravane.

« N’existe-t-il vraiment aucun antidote contre la piqûre de ces monstres ? demanda Hans Blom à son ami Rynwald.

— Aucun, répondit celui-ci.

— Et croyez-vous qu’il y ait beaucoup d’animaux atteints ?

— Cela, nous ne le saurons que plus tard. Il faut un certain temps pour que le poison produise son effet.

— Quelle calamité ! » murmura Blom auquel l’ami Rynwald fit écho.

Quand la dernière tête de bétail eut passé sur la rive septentrionale du cours d’eau, une nouvelle éclata comme une bombe au milieu de la caravane :

« Olifants ! Olifants ! » criait un Cafre.

Des éléphants ! ce cri n ; avait rien d’alarmant pour des chasseurs. Au contraire, que d’ivoire et par conséquent que de profit promettait une chasse à l’éléphant !

Cependant, lorsque le Cafre, courant à perdre haleine, put expliquer ce qui avait causé son émoi, les projets cynégétiques firent place à un sentiment de terreur générale.

Une troupe d’une centaine d’éléphants s’avancait vers le gué.

C’était probablement celle dont les Vee-Boërs avaient fait, l’autre semaine, la rencontre nocturne.

Selon leur habitude, les pachydermes arrivaient en file indienne : leur course les amenait au gué en droite ligne ; leur intention devait être de traverser la rivière. Ce fut à cette occasion que le baas déploya toute son intelligence et sa rare énergie.

« Laissez-leur la voie libre, » ordonna-t-il à ses hommes. Aussitôt les chariots furent conduits à l’écart. Les pasteurs emmenèrent le bétail à la suite, et la berge se trouva libre. Sans cette précaution, les éléphants, ne pouvant aborder ailleurs, eussent tout écrasé.

Tout désappointé par ces mesures pacifiques, Piet s’approcha du baas et lui dit ;

« Oh ! mon père, quel dommage de laisser échapper cette belle occasion de faire parler la poudre.

— Qui t’a certifié que nous ne montrerions pas aux éléphants la couleur de nos balles ? répondit Jan Van Dorn avec un fin sourire… place-toi ici à l’affût avec Hendrik ; Klaas Rynwald et son fils se tiendront derrière cet arbre ; Andriès et son père, derrière cet autre ; Karl de Moor où il voudra, je n’ai pas besoin de lui désigner son poste. Quant aux autres, je vais aussi les placer, et je recommande à tous ceux que je mets en embuscade de ne pas tirer avant mon signal. »

Ces dispositions prises, les Vee-Boërs attendirent de pied ferme l’arrivée des éléphants. La bande s’approchait au pas ; mais des enjambées d’éléphants équivalent au trot de la plupart des quadrupèdes.

Jan Van Dorn ne se trompait pas. Les pachydermes ne cherchaient pas simplement un abreuvoir ; leur intention était de passer le gué. Avec leur sagacité ordinaire, ils connaissaient tous les lacs, toutes les sources, tous les points guéables dans les rivières de la région qu’ils habitaient.

L’eau jaillit au loin quand l’éléphant conducteur de la bande posa son énorme pied dans la rivière. C’était un grand vieux mâle aux longues défenses, aux oreilles presque aussi larges qu’une capote de voiture. Sa trompe flexible se balançait pour la dernière fois de sa vie.

« Feu ! » commanda le baas.

Le premier éléphant, criblé de balles, s’écroula comme un quartier de roc tombant du haut d’une montagne dans un torrent ; cinq de ses compagnons furent mortellement blessés à ses côtés. Les autres, épouvantés, s’enfuirent à la débandade à travers les arbres dont on entendait craquer les branches sur leur passage.

« Victoire ! s’écria le baas après qu’on eut achevé les blessés. Si nous avons le malheur