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peau de lion dont Piet lui avait fait hommage. Mais Andriès insinua qu’il ne croyait pas un mot de cette histoire de terrier d’hyène et que pour lui sa conviction était faite : Piet avait tout bonnement exécuté par-dessus la tête de son cheval une cabriole dont lui, Andriès, regrettait de n’avoir pas été témoin.

« Du reste, ajouta-t-il, voici Karl de Moor qui nous a suivis pendant notre poursuite des buffles et qui partage mon avis. N’est-il pas vrai ?

— Mais ce que vous assurez me paraît vraisemblable, répondit Karl de Moor avec son sourire narquois.

— Libre à vous de ne pas croire au récit de Piet ! leur répliqua la jeune fille d’un air qui attestait sa parfaite confiance dans la véracité du jeune chasseur.

— Je n’ai pas eu l’intention de vous offenser, mademoiselle Katrinka, insista Karl de Moor, en disant ce que je crois être l’exacte vérité. »

Il appuya sur les deux derniers mots avec une affectation méchante.

« Dame ! ajouta Andriès Blom, l’équitation n’est pas encore le fort de Piet. Chacun sait cela. »

Cette flèche du Parthe atteignit la jeune fille plus qu’elle ne voulait le laisser paraître. Elle eût désiré que chacun appréciât le mérite de Piet comme elle l’estimait elle-même. Si Andriès Blom s’imaginait réussir auprès de Katrinka en dénigrant son rival, il se trompait du tout au tout. Pour un peu, la jeune fille l’eut pris en grippe.

Quant à Karl de Moor, à tort ou à raison, il était profondément antipathique à Katrinka. Elle le croyait mal disposé envers le baas et tous les siens, et sa conduite à l’occasion de Piet augmenta encore la répulsion de la jeune fille pour cet homme au regard dur et froid comme l’acier. Restée seule avec sa mère, elle ne put s’empêcher de lui dire :

« Croyez-vous que Karl de Moor soit un homme bien sûr ? Je lui trouve toujours un air de malveillance lorsqu’il parle du baas ou de sa famille.

— Je n’ai rien remarqué de semblable, mon enfant, répondit avec douceur Mme Rynwald. Quelle cause de rancune pourrait-il avoir contre le baas qui le traite avec égards et bonté ?

— Ludwig m’a assuré, reprit Katrinka, que, si Piet Van Dorn a couru les dangers auxquels il a si heureusement échappé, c’était la faute de Karl de Moor, qui pouvait tuer le buffle blessé et qui ne l’a pas fait. Mère, vous connaissez Ludwig ; vous savez qu’il n’affirmerait pas une chose dont il ne serait pas certain.

— Oui, répondit l’excellente Mme Rynwald, mais je sais aussi que les jeunes gens sont sujets à porter des jugements précipités qui tiennent plus de la prévention que de la justice. Je ne suspecte jamais la loyauté de mon fils, mais je contrôle souvent ses opinions, adoptées à la légère. Ceci peut s’appliquer aussi à toi, ma chère enfant. Prends garde d’être injuste envers un homme brave qui a su inspirer de l’estime à ton père, à Hans Blom et au baas. »

Katrinka garda le silence après cette douce admonestation maternelle ; mais elle confondit dès ce moment dans une même aversion Karl de Moor et Andriès, qui avait invoqué contre Piet le témoignage de cet homme, dont la jeune fille suspectait le caractère.

Andriès ne se doutait pas du déplorable effet de ses manœuvres. Pendant la traversée du gué, il s’empressa autour du chariot de la famille Rynwald. Il offrit avec affectation ses services à Katrinka, parla, cria, gesticula, en un mot joua le rôle de la mouche du coche.

Mal disposée à son égard, Katrinka témoignait le mépris que lui inspiraient les perfides insinuations d’Andriès par une froideur glaciale dont le jeune homme fut piqué au vif. Il s’en vengea sur son cheval ; mais celui-ci, cravaché et éperonné sans motif, se fâcha de son côté. Il se cabra, perdit pied sur les pierres glissantes du gué et envoya son cavalier faire un plongeon dans la rivière.

Un éclat de rire général salua cette chute burlesque. Tandis que maître et cheval se débattaient, s’ébrouaient chacun de son côté, Andriès reconnut distinctement le rire argentin de Katrinka, et il entendit sa voix bien connue qui disait cruellement :

« Andriès avait raison tout à l’heure. Ces sortes de cabrioles sont très drôles… pour les spectateurs du moins, j’en réponds. »

La mortification, la colère d’Andriès, ne peuvent se décrire ; il n’eut pas la consolation d’apprendre que la bonne petite sœur de Katrinka, la blonde Meistjé, prenait son parti.

« Tu es bien sévère pour ce pauvre garçon, dit-elle à la railleuse. Personne ne peut répondre des suites d’un accident.