Page:Reid - Aventures de terre et de mer, Hetzel, 1891.djvu/253

Cette page n’a pas encore été corrigée

bon fuir le mowana si l’on ne s’éloignait pas des ennemis qu’on avait trouvés sous son abri !

Le baas Jan Van Dorn pensait que les mouches venimeuses avaient été apportées par le troupeau de buffles, et c’était par la piqûre irritante de ces insectes qu’il expliquait la course précipitée de cette bande d’animaux sauvages. Agacée par les dards des tsétsés, cette horde de buffles pouvait bien avoir fui pour échapper à ce supplice. De là leur attitude assez inexplicable de bêtes en fuite, lorsqu’on n’avait vu derrière eux aucun poursuivant.

Cette opinion avait pour elle la vraisemblance ; mais Klaas Rynwald et Hans Blom ne l’adoptèrent pas ; ils prétendirent que le seul moyen d’échapper au désastre était de quitter le bord de l’eau et de s’enfoncer dans l’intérieur des terres. On s’écarterait de la direction normale, mais peu importait. La question capitale était d’éviter le fléau. Que deviendrait-on si tout le bétail périssait !…

Le guide Srnutz trancha le nœud gordien de ce différend. Ayant grimpé avec l’agilité d’un écureuil sur la plus haute branche du mowana, il aperçut au loin une chaîne de montagnes qui courait à peu près parallèlement à la rivière. Du haut de l’arbre, il cria sa découverte aux chefs, et, après être descendu de son observatoire, il conclut ainsi :

« C’est absolument ce qu’il nous faut. Là-bas il n’y a pas d’arbres et par conséquent pas de tsétsés. Et nous ne risquons pas de nous égarer, puisque nous restons dans la même direction. Nous n’allongeons notre voyage que d’une ou deux journées de marche tout au plus.

— À quelle distance approximative sommes-nous de cette chaîne de montagnes ? demanda le baas.

— Environ à vingt kilomètres, répondit Smutz.

— En route ! cria Jan Van Dorn avec son ton de grave autorité, mais ce ne fut pas sans consulter du regard ses deux associés qui lui répondirent par un signe d’assentiment.

— Dieu veuille, ajouta seulement Hans Blom, que nous échappions enfin à la malchance qui semble s’acharner contre nous. »

Smutz alla prendre sa place habituelle en tête de la caravane. Les chariots s’ébranlèrent lourdement, et le périmètre d’ombrage du mowana, si plein de vie et d’activité quelques heures auparavant, retomba dans sa solitude et son silence d’autrefois.

La chaîne de montagnes se trouvant sur l’autre rive, il fallait nécessairement passer l’eau. Les voyageurs ne s’attendaient à aucune difficulté pour cette opération. Ils connaissaient non loin du camp une sorte de gué naturel. Mais c’était compter sans la pluie de la veille. Le déluge qui avait failli submerger Piet dans la prairie avait gonflé le cours d’eau au point de noyer le gué, et certaines places ressemblaient plutôt à des lacs qu’à une rivière. À la rigueur, les hommes auraient pu passer, et les bestiaux aussi, à cause de leurs instincts nageurs, mais il ne fallait pas songer à transborder les chariots.

Les Vee-Boërs durent se résigner à attendre la retraite des eaux. Pendant qu’ils maugréaient de ce retard, Smutz cherchait à calmer leur impatience en leur répétant :

« Ce ne sera pas long. »

En effet, on constatait déjà un mouvement rétrograde des eaux, et, comme en Afrique, les débordements des fleuves ne durent parfois que quelques heures, il n’y avait rien d’impossible à ce qu’il en fût de même cette fois.

Les voyageurs voyaient le niveau de l’eau courante baisser très sensiblement ; on eût dit qu’elle s’enfonçait dans des réservoirs souterrains. C’était avec un vrai soulagement qu’ils suivaient les progrès de cette diminution.

Dans l’espoir que l’attente ne serait pas longue, on ne détela pas les chariots. Les cavaliers seuls mirent pied à terre afin de tout préparer pour le passage.

La rivière revint à son niveau normal dans un espace de temps incroyablement court.

Avec un vacarme étourdissant, un chœur de cris et de claquements de jamboks, on força les bœufs des attelages à entrer dans le gué. Le tapage augmenta encore pendant la traversée et ne cessa que lorsque les trois wagons furent hissés tout ruisselants sur la rive opposée. Ce ne fut pas sans peine d’ailleurs qu’on vint à bout de cette manœuvre. Le passage des bestiaux n’était pas non plus une besogne aisée. Enfin, on vint à bout de tout.

Un incident comique vint égayer les Vee-Boërs au milieu de leurs tracas. Andriès Blom, fort jaloux des succès remportés par son rival, voulut rabaisser aux yeux de Katrinka les mérites de Piet Van Dorn. Il n’eut garde de décrier ses prouesses cynégétiques, car les faits parlaient d’eux-mêmes, et Katrinka n’était pas médiocrement fière de la superbe