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de Ludwig avaient les yeux rouges, de sorte que le chagrin de Katrinka ne fit pas événement. Les heures se passant toujours sans ramener l’absent, l’inquiétude augmentait et elle était à son comble lorsque le retour de Ludwig vint y mettre un terme.

Au premier moment, en le voyant revenir seul, on crut qu’il apportait de mauvaises nouvelles. Le baas pâlit malgré sa force de caractère ; Mme Van Dorn ne put que bégayer, tandis qu’elle voulait demander à Ludwig où il avait laissé Hendrik et Piet. Katrinka crut tout perdu, et elle se jeta dans les bras de Rychie. Les jeunes filles confondirent leurs larmes.

Mais tout s’expliqua. Bientôt Ludwig fut entouré d’un groupe serré d’émigrants qui écoutaient son récit avec un intérêt passionné. Ludwig ne donnait jamais assez de détails à leur gré, et on lui faisait recommencer dix fois sa narration, tant les amis de Piet étaient fiers de ses exploits. On félicitait le baas ; on complimentait Mme Van Dorn. Elle qui avait eu la force de cacher ses larmes de douleur, ne pouvait plus retenir ses larmes de joie ; elle les laissait couler pendant que Ludwig se complaisait dans son récit, en orateur maître de son auditoire, et glorifiait le courage de Piet, au grand émoi de sa sœur Katrinka dont le cœur se serrait à l’idée des dangers qu’avait courus le fils du baas.

Tout à coup un bourdonnement interrompit le narrateur. Ce tzip du tsétsé était comme un sifflement aigu, intermittent. Bien reconnaissable à sa couleur brune et à son abdomen rayé de jaune, l’insecte voltigeait autour du cheval de Ludwig. Ses longues ailes étaient en mouvement ; il semblait chercher la place où il allait darder son aiguillon.

Supposant que Ludwig l’avait ramené de son expédition et que l’insecte était le seul de son espèce qui fût aux environs, tout le monde s’employa à la poursuite du tsétsé. Chapeaux et mouchoirs en main, on s’efforçait de le saisir. Entreprise malaisée en plein midi. La chaleur excite le tsétsé et le rend insaisissable.

L’insecte voletait à droite, à gauche ; il semblait posséder le don d’ubiquité. Il bourdonnait comme pour narguer les efforts acharnés à sa perte. Tous les bras le menaçaient ; aucun ne pouvait le prendre.

Il pénétra dans l’enclos où paissaient les bestiaux, et, à la consternation indicible de ceux qui le poursuivaient, ils aperçurent non pas un tsétsé unique, mais dix, mais cent, mais mille insectes peut-être qui s’attaquaient au troupeau.

« Les tsétsés ! s’écrièrent les malheureux Boërs. Nous sommes perdus. »

Ce cri se répéta de proche en proche, et il s’ensuivit la scène de confusion qui avait intrigué Piet et son frère.

Il fut bientôt tristement certain que les mouches s’étaient attaquées non seulement aux vaches laitières et à leurs veaux, mais encore aux bœufs des attelages. Les chiens mêmes étaient harcelés par les tsétsés. Les pauvres bêtes tâchaient en vain de saisir avec leurs dents les insectes qui les dévoraient. Ils se mordaient le corps, se roulaient à terre et hurlaient de rage, sans réussir à s’en débarrasser. Ils ne happaient que l’air avec leurs gueules béantes, armées de crocs pointus.

« Hâtez-vous ! cria Jan Van Dorn aux serviteurs empressés à préparer le départ. Il faut fuir le plus tôt possible. Hâtez-vous ! »

Dans l’espoir de sauver le plus d’individus possible du troupeau, on rassembla le bétail en chassant à coups de mouchoir les insectes acharnés après cette proie.

Au milieu de cette bataille contre un ennemi insaisissable, l’arrivée de Piet ne fut pas célébrée triomphalement. Mais Mme Van Dorn serra son fils sur son cœur avec tendresse ; Rychie et Annie embrassèrent plus de dix fois leur frère bien-aimé. Piet reçu de Katrinka un regard affectueux et une poignée de main qui en disaient long, et le baas, ainsi que Hans Blom et Klaas Rynwald, lui exprima en peu de mots son bonheur de le revoir sain et sauf.

Ce fut tout. La circonstance actuelle exigeait le concours de toute la colonie, et l’on n’avait pas de temps à perdre en compliments. Piet et Hendrik allèrent proposer leur aide aux travailleurs.

Les objets de ménage furent lestement réintégrés dans les chariots, et la caravane se trouva bientôt prête à partir. Mais pour aller où ?

Les principaux chefs tinrent un conseil sommaire. On n’avait guère le temps d’étudier, de discuter les diverses propositions. Les avis furent partagés. Les uns opinaient pour que l’on continuât dans la même direction ; mais il fallait pour cela remonter le courant de la rivière, et ses rives ombragées pouvaient servir de gîte à d’autres insectes qui achèveraient les ravages déjà commencés. À quoi