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qu’il suivait, il tournait donc le dos au camp du mowana ?… Hildy obéit avec sa docilité habituelle à la main de son maître qui lui faisait opérer une volte-face. Ils remontèrent ainsi la piste, s’assurant à chaque pas de la justesse des empreintes. Il n’y avait pas à s’y tromper. Dans certains endroits, le sol piétiné par les buffles semblait ouvert comme par le soc d’une charrue. Partout on apercevait les marques de leur passage. Si son cheval n’eut pas été épuisé, Piet l’aurait mis au galop, tellement il lui tardait d’arriver ; mais le jeune chasseur modéra son impatience par commisération pour sa monture.

Au bout d’une heure de trajet, deux carcasses de buffles à demi dévorées indiquèrent à Piet la place où le taureau s’était séparé de la bande en l’entraînant à sa poursuite. C’étaient les bêtes abattues par Andriès et Ludwig. Des chacals en train de festiner sur ces cadavres s’enfuirent à l’approche du cavalier, et des vautours s’envolèrent lourdement ; mais aucun de ces animaux de proie ne renonça à sa franche lippée. Les chacals se blottirent à cent pas, derrière quelques buissons ; les vautours décrivirent assez bas dans les airs leurs cercles sinistres autour de la proie dont la peur les avait écartés. Tous n’attendaient que le départ du voyageur pour reprendre leur banquet interrompu.

Cette fois, Piet pouvait se rendre compte de la distance qui lui restait à parcourir pour retrouver ses amis. Ce n’était plus qu’une question de temps.

Plus tôt qu’il n’osait l’espérer, Piet aperçut le mowana, le camp et la rivière avec sa ligne de grands arbres. Une dépression de terrain les avait jusque-là rendus invisibles à ses yeux.

Tout à coup l’attention du jeune chasseur fut attirée vers deux cavaliers qui venaient à sa rencontre de toute la vitesse de leurs montures ; avant qu’ils fussent proches, Piet avait reconnu en eux, — avec quelle joie ? il est inutile de le dire, — son frère Hendrik et Ludwig Rynwald, le frère de Katrinka, celui de tous ses jeunes amis que Piet préférait.

De loin, dès qu’ils aperçurent le chasseur égaré, Ludwig et Hendrik poussèrent des cris d’allégresse et se livrèrent à des démonstrations de joie à l’aide d’une pantomime expressive. Il va sans dire que Piet leur répondit de même avec un enthousiasme sincère.

Peu d’instants après, les trois amis se rejoignirent, et ce ne fut pendant quelque temps que questions confuses et réponses entrecoupées. Enfin Piet demanda à son frère Hendrik avec quelque appréhension :

« Est-ce qu’on s’est fatigué à me chercher toute la nuit par escouades ?

— Non, non, rassure-toi, répondit vivement Hendrik. Par intérêt pour toi, le père de Ludwig et M. Hans Blom ont bien proposé hier au soir de partir dans diverses directions, par groupes de trois ou quatre hommes, pour aller à ta recherche ; mais le baas a répondu : « Je vous remercie ; mais je ne veux pas humilier Piet en le cherchant comme un baby perdu. Il est monté sur le meilleur cheval que nous ayons. Il a une bonne arme et des munitions, et je le sais garçon capable dg se défendre contre des hasards nocturnes. » Puis notre père a remercié ses amis, mais d’un ton à ne leur permettre aucune insistance nouvelle ; ce n’est qu’au point du jour que nous avons obtenu la permission, Ludwig et moi, d’aller à ta rencontre par la route de notre chasse d’hier… Mais, si tu as passé une mauvaise nuit, nous ne l’avons pas eue meilleure au camp, mon cher Piet. Rychie et Annie se désolaient en entendant tomber la pluie d’orage, et chaque cri d’hyène lointain leur donnait le frisson. Notre mère faisait meilleure contenance ; mais, ce matin, quand j’ai voulu aller seller mon cheval, je l’ai trouvé tout prêt. Mère était déjà levée, et elle avait si bien pensé à tout préparer qu’elle m’a donné quelques galettes et cette gourde pour que tu puisses te refaire un peu avant d’arriver au camp.

— Il n’y a qu’une mère pour s’aviser de tout ! s’écria Piet en buvant une gorgée de brandey-wine après avoir mordu à belles dents à même la galette.

— Ah ! vraiment, c’est là votre opinion, ami Piet ? dit Ludwig Rynwald. En ce cas, je ne dois pas exhiber les provisions dont ma mère et Katrinka m’ont chargé à l’intention de rompre votre jeûne. Elles aussi avaient songé que vous seriez affamé après une nuit passée dans le désert de la prairie, et quand je leur ai objecté que Mme Van Dorn pourvoierait sans doute à cela, elles n’ont pas voulu se rendre à cette raison, et elles ont dit qu’il était bon que chacun de nous fut muni de nourriture pour le cas où nous serions forcés de nous séparer dans notre recherche… Mais, si vous ne devez pas savoir gré à Katrinka de sa prévenance, le mieux que j’aie à faire, c’est de déjeuner en