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Andriès Blom. Mais elle comprit alors que la vie de Piet était indispensable à la sienne.

S’il avait été donné au chasseur égaré d’apprendre la tendre sollicitude qu’il inspirait à la jolie Katrinka, les heures lui auraient paru, sinon moins longues, du moins plus douces. Lui non plus ne dormit guère. Les souffrances que lui causaient les blessures des épines se joignirent à ses tristes pensées pour le tenir à peu près éveillé.

Lorsqu’il s’était décidé à s’arrêter, il avait pris les précautions usitées en ce cas, ou du moins celles qui se trouvaient à sa disposition. Les nuits tropicales sont presque aussi froides que celles des climats septentrionaux. Pour se garantir de la rosée qui tombait déjà, le jeune homme avait voulu d’abord allumer du feu. Il en sentait d’autant mieux la nécessité qu’il était fort légèrement vêtu et que sa longue course l’avait mis en transpiration.

Malheureusement, tout conspirait contre lui. Pas d’arbres dans la prairie, pas même de buissons : aucune espèce de bois. Des fourmilières parsemaient la plaine comme autant de meules de paille ; on voyait aussi quelques huttes de termites abandonnées ; mais, si les fourneaux ne manquaient pas, comme on voit, le combustible était absent.

Pourtant, à force de recherches, le pauvre garçon égaré découvrit un buisson d’herbes sèches, suffisant pour faire un gros feu, mais pouvant être utilisé d’une façon plus profitable en guise de lit. Piet tira son couteau de chasse et s’en servit comme d’une faux pour opérer cette fenaison d’un nouveau genre.

Ayant constaté que les fourmis avaient abandonné une de leurs habitations, il transporta au pied de cette fourmilière toutes ces bottes de foin et s’étendit sur cette couchette improvisée. L’herbe lui servait à la fois de matelas, de drap et de couvertures. Ainsi abrité contre le froid, sa tête seule dépassait les brindilles de foin, et il pouvait braver, sans craindre un rhume, les rigueurs de la nuit.

Il eût très volontiers soupé. La chasse et la marche à pied sont d’excellents apéritifs ; mais où prendre quelque chose à se mettre sous la dent ? Ne réussissant pas à expérimenter la justesse du proverbe : « Qui dort dîne, » Piet en inventa un autre à son usage : « Qui fume dîne ». Il bourra sa pipe, cette compagne des chasseurs solitaires, cette consolatrice des chasseurs malheureux, et se mit à fumer.

La première charge de tabac épuisée en fumée, Piet bourra sa pipe de nouveau. Bientôt les propriétés narcotiques du tabac firent leur effet, et le jeune homme oublia dans un sommeil réparateur ses souffrances physiques et morales.

Il tenait par bonheur le tuyau de sa pipe très serré entre ses dents, sans quoi la moindre étincelle eût mis infailliblement le feu à sa couche improvisée, et il eût couru risque d’être brûlé vif ou étouffé par la fumée dans son sommeil.

En dormant, Piet rêvait. Il lui semblait être de nouveau poursuivi par le buffle et entendre résonner auprès de lui ses pas pesants… Réveillé en sursaut par cette sorte de cauchemar, il prêta l’oreille… Non, ce n’était pas une illusion. Un animal galopait dans la prairie ; mais il n’avait pas la lourdeur d’un buffle. C’était plutôt l’allure d’un cheval.

Bientôt un hennissement plaintif ne laissa au jeune chasseur aucun doute à cet égard ; il se figura même reconnaître la voix de son cher Hildy.

Avec la brusquerie d’un diablotin s’échappant d’une boîte à surprise, Piet se dressa sur ses pieds et sauta sur la fourmilière, d’où il pouvait dominer les alentours.

La lune venait de se lever et elle éclairait le paysage. À sa clarté, Piet aperçut le pauvre Hildy poursuivi par une meute de chiens sauvages.

Ces chiens, Canis picta, ont quelque analogie avec l’hyène ; aussi les nomme-t-on parfois hyènes chasseresses. Plus grands que des lévriers, tachetés de noir et de blanc sur un fond brun rougeâtre, ils ressembleraient tout à fait à des chiens de chasse, sans leurs oreilles droites, fortes et noires. Leur coutume de suivre leur proie par nombreuses bandes les rend bien plus redoutables que l’hyène commune. Ils s’attaquent avec succès même à l’homme.

Le pauvre Hildy, affolé de sentir à ses trousses cette meute affamée, poussait des hennissements lugubres. Il bondissait de ci, de là, pour échapper aux atteintes de ses ennemis. On eût dit que, ne sachant que devenir et se sentant perdu, il appelait son maître à son secours. Du moins Piet s’expliqua ainsi les appels désespérés de son cheval.

« Sois tranquille, cria-t-il tout haut comme si Hildy eût pu comprendre cette promesse, je te sauverai. »

Il était grand temps. Une centaine de chiens