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Le soleil se coucha avant que le jeune homme eût aperçu, même comme une tache noire au plus lointain horizon, le mowana du camp. Le crépuscule assombrit le ciel. Piet courait toujours, bien las, mais sans s’accorder une minute de repos. Le but tant désiré n’apparaissait toujours pas.

Enfin, le chasseur voulut profiter des dernières lueurs du jour pour monter sur une fourmilière, dans l’espoir que de cette éminence sa vue porterait plus loin et lui permettrait de distinguer les feux du bivouac, propres à lui servir de phare.

Il n’aperçut ni feux ni fumée, et, au lieu de continuer au hasard sa route dans l’obscurité, il crut plus sage de s’arrêter là où il se trouvait.


CHAPITRE IX
TRAQUÉ PAR DES CHIENS SAUVAGES


Au camp des Vee-Boërs, cette nuit-là fut triste pour plus d’une personne. Bien des yeux ne se fermèrent pas, bien des cœurs furent désolés. Inquiète de son fils, Mme Van Dorn cherchait pourtant à dissimuler ses larmes, afin de donner l’exemple du courage à ses deux filles Rychie et Annie. Celles-ci avaient beaucoup de chagrin, elles craignaient qu’il ne fût arrivé malheur à leur frère, et elles sollicitaient Hendrik, leur second frère, de partir à la découverte à travers la prairie ; Hendrik soupirait ; lui aussi avait le cœur gros ; mais il était forcé de répondre aux supplications de ses sœurs :

« Père m’a ordonné d’attendre ses instructions. »

Dans le wagon des Blom, le père grondait Andriès d’avoir abandonné son ami. Le jeune homme s’excusait sur l’emportement de la chasse ; au fond, il se souvenait d’avoir eu de mauvaises pensées au moment où Piet quittait le groupe de chasseurs. Il n’avait certes pas souhaité malheur au fils du baas, mais il n’aurait pas été fâché de le voir revenir au camp bredouille ou fourbu et piteux d’avoir à confesser quelque accident ridicule. C’était là que s’était bornée la jalousie d’Andriès, et ce qui était arrivé, cette absence de Piet persistant après la nuit tombée et présageant un malheur, dépassait tout ce qu’Andriès avait désiré. Comme ce jeune homme n’était pas méchant au fond, les reproches de son père ne faisaient que reproduire tout haut ceux qu’il s’adressait dans le secret de son cœur, et il ôtait travaillé à la fois par l’inquiétude et le remords.

Les émotions dont on ne fait point parade sont souvent plus profondes pour être muettes. Dans le wagon occupé par la famille Rynwald, comme dans toutes les au très parties du camp, on ne parla ce soir-là que du pauvre Piet. Personne n’aurait eu la cruauté d’adresser des reproches à Ludwig ; il s’accusait de lui-même avec trop de sincérité de n’avoir pas suivi Piet Van Dorn, son ami d’enfance, et d’être resté auprès d’Andriès, que Karl de Moor aurait pu soutenir en cas de danger pressant. M. et Mme Rynwald avaient donc pour seule tâche de consoler leur fils en lui suggérant l’espoir du retour de Piet ; Meistjé se joignait à ses parents dans ces vœux bien sincères ; mais Katrinka était la seule qui ne s’assit pas ce soir-là sous la lampe de la veillée pour causer de l’absent.

Ce n’est pas que Piet Van Dorn lui fût indifférent, tout au contraire, c’est qu’elle ne voulait donner à personne le spectacle des larmes abondantes qu’elle ne pouvait retenir en songeant aux périls que courait sans doute le pauvre égaré.

Cette anxiété éclairait la jeune fille sur ses propres sentiments. Universellement choyée, fêtée, elle s’était imaginée jusque-là qu’elle aimait Piet de la même affection qu’elle accordait à son frère Ludwig ou à son ami d’enfance