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qui, n’étant pas admis encore même à la dignité de simples figurants, se morfondent dans la coulisse comme des pompiers de service, ainsi que le remarque spirituellement l’illustre Merrill.

Au milieu de ces cadets et sur les degrés mêmes, on peut reconnaître avec étonnement, sous des habits civils, à la lueur d’un clair de lune de juin, un grand beau garçon aux cheveux noirs qui, lui aussi, jette un regard curieux par la porte ouverte sur le spectacle du bal. C’est Mac Diarmid, aujourd’hui sorti de l’École, mais sans commission d’officier.

Il semble furieux, — au point d’être prêt à commettre quelque acte de folie, — et mâchonne un cigare éteint, en murmurant de vagues menaces.

Mais voici que la musique s’est arrêtée ; aussitôt les invites commencent à s’égrener au dehors, empressés de sortir de cette atmosphère étouffante pour humer la fraîcheur de la nuit en faisant un tour dans les parterres. Les cadets, tout confus, ont battu en retraite, et Mac Diarmid, se mêlant à la foule des autres curieux qui sont restés autour de la porte, assiste au défilé.

Un jeune officier de cavalerie à la moustache blonde sort bientôt, ayant au bras sa danseuse, et paraît peiné d’apercevoir là Mac Diarmid, avec lequel il échange aussitôt un salut rapide, quoique affectueux.

« N’est-ce pas que c’est un superbe officier ? dit quelqu’un dans la foule.

— Ce n’est pas moi qui dirai non, répond Mac Diarmid avec force. Armstrong est un travailleur et un gentleman. Je voudrais pouvoir en dire autant de tous ceux qui sortent d’ici… Parmi ceux-là il en est un, par exemple… Ah ! le voilà ! »

Il s’était brusquement interrompu en voyant deux officiers descendre les degrés et se diriger vers le bâtiment de l’état-major, en compagnie d’un vieux monsieur en habit noir, que la dignité de sa démarche et la majesté de toute sa personne désignaient comme un personnage important. Mac Diarmid avait évidemment aperçu dans ce groupe l’homme qu’il cherchait, car sa physionomie prit subitement une expression farouche, et les mots entrecoupés qui tombèrent de ses lèvres ressemblèrent à des malédictions.

Cependant tous les trois avaient tourné le coin de l’édifice. À peine avaient-ils disparu, que Mac Diarmid s’élança vivement sur leurs traces. Mais, presque aussitôt, il fut brusquement arrêté par une main qui lui prenait le bras.

» Où allez-vous donc si vite ? » lui demandait-on en même temps.

Mac Diarmid, se retournant avec colère, se trouva face à face avec un petit homme trapu, coiffé d’un chapeau de paille sous lequel on distinguait la plus étrange figure avec des pommettes saillantes, des yeux percés en trous de vrille et une grande barbe roussâtre.

« C’est vous, Evan Roy ? fit le jeune homme en cherchant à se dégager. Laissez-moi… J’ai à venger mon honneur !… Le traître qui m’a dénoncé, qui a brisé ma carrière, anéanti mes espérances est devant moi Lâchez-moi donc !…

— Le fils de mon père n’en fera rien, répondit le nouveau venu avec un grand calme. J’irais plutôt avec vous, car si un Mac Diarmid parle de venger son honneur, ses parents doivent le suivre… Et c’est ce qu’Evan Roy fera, pour son compte, aussi longtemps qu’il pourra mettre un pied devant l’autre… Mais quelle est donc la cause qui excite la colère du Chef ?… »

Ils avaient maintenant tourné le coin de l’École, et, à quelque distance en avant sur la route, pouvaient apercevoir les trois hommes que Mac Diarmid avait suivis.

« Vous savez pourquoi et sous quel ridicule prétexte j’ai été chassé de l’École, Evan Roy ? dit-il avec une fureur mal contenue, pour toute réponse à la question de son parent.

— Oh ! ce n’est pas difficile à deviner ! Parce que ces lourdauds de professeurs n’auront pas voulu comprendre le caractère d’un vrai gentleman, d’un noble chef de clan ! articula Evan avec un ricanement de mépris… Et pourtant où était l’Académie de West-Point, je le demande, quand les Mac Diarmid sont venus de Troie avec Brutus l’Ancien et ont abordé sur les rivages d’Albion ?… Ah ! voyez-vous, Chef, le monde est bien changé maintenant, et cette Amérique-ci n’est guère le pays qui convient à un gentleman. »

Mac Diarmid essaya de sourire.

« Ce n’est pas de l’Amérique que je me plains, Evan Roy. Vous oubliez que c’est ma vraie patrie, celle que j’aime de toutes les forces de mon cœur… Je n’en veux qu’à cet homme que vous voyez là, devant nous,