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Piet lia la queue du buffle au haut du canon de son roër et il se disposa aussitôt après à prendre congé d’un lieu qui avait servi de scène à des péripéties bien diverses.

Il n’était pas au bout de ses perplexités et de ses peines.

De quel côté diriger ses pas ? Où se trouvait le camp ?

Chose bizarre ! Piet ne songea à s’adresser cette question qu’au moment de se mettre en marche. Les voyageurs des plaines de l’Afrique ou de la Prairie américaine ne soupçonnent jamais qu’ils soient perdus avant le moment où ils le sont tout à fait.

Piet eut subitement la révélation de cette triste réalité et il s’arrêta net… Rien ne le guidait dans cette vaste étendue de pâturages, dont la ligne verte se mêlait à toutes les portées d’horizon, à la ligne bleue du ciel. Il avait espéré apercevoir au loin la file des arbres qui bordaient la rivière ; il eut beau écarquiller les yeux ; il ne distingua même pas le mowana qui ombrageait le camp des Vee-Boërs.

On le sait déjà, le baobab, autrement dit le mowana, est fort peu élevé relativement à l’expansion de ses branches. Il atteint rarement trente mètres de hauteur. Rien ne dépassait le niveau de la plaine dans laquelle Piet se posait en observation. Ce fait lui prouva qu’il aurait à fournir une longue étape avant de retrouver ses compagnons. Mais encore fallait-il suivre la bonne direction et ne pas faire tout ce chemin en sens inverse…

L’essentiel était de s’orienter ; on songerait ensuite aux autres difficultés. Piet fit appel à ses connaissances acquises et à toute sa puissance de raisonnement pour chercher son point de repère.

« Le soleil ! s’écria-t-il tout à coup, je me souviens que nous l’avions devant nous en quittant le camp. »

Mais cet astre ne demeure pas immobile ; il avait dû changer de place depuis ce temps… pas beaucoup, il est vrai, mais suffisamment pour n’être qu’un guide incertain.

Enfin, Piet se dit :

« Mieux vaut une indication insuffisante que point du tout, »

Et tournant le dos au soleil couchant, il se mit résolument en chemin.

Il n’avait pas marché cinq minutes qu’il partit d’un éclat de rire. Cette fois, c’était de lui-même qu’il se moquait.

« Père a bien raison, s’écria-t-il, de me dire souvent : « Que tu es jeune, Piet, que tu es jeune ! » ce qui signifie qu’il me trouve un franc étourdi. Je me sens toujours humilié par cette exclamation, et quelquefois je trouve que mon père met plus de sévérité que de justice à me l’adresser… Et pourtant père a raison contre moi ; avec un peu plus de bon sens, je n’aurais cherché un guide ni si haut ni si loin ; j’aurais réfléchi aux traces que le buffle et moi nous avons laissées sur notre passage et dont la première m’éclaire sur mon étourderie. »

Piet venait en effet d’apercevoir distinctement sur le terrain des traces produites par des pieds d’animaux : deux empreintes différentes formées, l’une par un fer de cheval, l’autre par les sabots du buffle.

Il ne s’agissait que de suivre ces traces en sens inverse à leur direction pour retrouver le chemin du camp.

Mais l’éclat de rire du jeune chasseur avait éveillé aux environs un écho railleur, un autre rire aigre et fêlé dans lequel Piet crut reconnaître la voix de cette hyène qui l’avait mis dans un si mauvais pas.

« Engeance maudite, s’écria le jeune homme en épaulant son roër, tu paieras pour tout le mal que la rencontre de ton terrier m’a causé. »

L’hyène essaya vainement de se faufiler dans des buissons, de cette allure traînarde et sournoise qui est particulière à cette espèce. Piet visait juste, et la détonation de son roër fit taire pour toujours l’affreux rire de l’animal carnassier.

Ce fut avec une satisfaction de chasseur que Piet vit tomber l’hyène foudroyée, mais il dédaigna de toucher à cette vile proie, et il reprit sa marche en répétant involontairement : « Dire que sans cette laide ricaneuse j’aurais encore mon pauvre Hildy ! »

L’expression d’un regret est chose assurément inutile ; mais le chagrin est moins poignant quand on l’exhale par ces sortes de lamentations.

La position du jeune chasseur égaré n’en restait pas moins assez précaire. Le jour déclinait rapidement. Bientôt la nuit tomberait, et, si Piet n’avait pas retrouvé le camp avant ce temps-là, il lui faudrait passer de longues heures dans les ténèbres, sans protection suffisante contre les léopards, les hyènes et les lions. Aussi, quoiqu’il fut peu valide, Piet courait à grandes enjambées.