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CHAPITRE VIII
UNE NUIT EN PLEIN AIR


Quoiqu’il eût réussi à se délivrer de son adversaire, Piet Van Dorn était loin d’être satisfait de son expédition de chasse. Il ne rentrerait pas au camp les mains vides ; il y rapporterait un trophée qui témoignerait de sa victoire sur le buffle. Mais son cheval…

De deux choses l’une : ou Hildy était perdu ; il errait à l’aventure dans cette contrée où les fauves sont prompts à l’attaque, et son maître ne le reverrait jamais, ce qui ne serait pas une perte médiocre, étant données la belle race d’Hildy et la difficulté de se procurer une autre monture ; ou bien l’instinct du cheval l’avait déjà ramené au camp, et, en ce cas, chacun y connaissait la mésaventure subie par le jeune chasseur. Hildy étant incapable de raconter l’incident de sa chute dans un terrier d’hyène, qui aurait désarçonné tout cavalier, sauf un centaure, tout le monde prendrait Piet pour un maladroit de s’être ainsi laissé séparer de son cheval.

La jolie Katrinka, si bonne écuyère elle-même, serait-elle plus indulgente que les autres envers une telle bévue ? Or, déchoir dans l’estime de Katrinka était plus que n’en pouvait supporter le pauvre Piet.

À ces pensées, où l’amour-propre du jeune homme jouait le principal rôle, s’en joignaient d’autres qui faisaient plus d’honneur à son bon naturel :

« En voyant rentrer Hildy sans moi, ma mère et mes sœurs jetteront l’alarme au camp, se dit-il. Mon père, qui est si tendre pour ses enfants sous son air froid, s’efforcera de calmer les inquiétudes de ma mère, de Rychie et d’Annie, mais il aura autant de chagrin qu’elles. Hendrik regrettera de ne pas m’avoir accompagné à cette partie de chasse. Plus raisonnable que moi, il est resté auprès de nos amis pour les aider à dépouiller les buffles tués. J’aurais dû faire comme lui, me souvenir que c’était aux fils du baas à donner l’exemple de l’ardeur aux besognes pressées… Mais ces regrets sont inutiles… Comme ils vont être inquiets, tous ceux qui m’aiment ! Ils me croiront sérieusement blessé, et ils ne sauront seulement pas vers quel côté se diriger pour venir à ma recherche. »

Ces réflexions n’avaient rien d’agréable pour le jeune chasseur. La perspective de s’en retourner à pied, fatigué, moulu par sa chute et déchiré par les épines du doorn-boom comme il l’était, n’avait rien de gai non plus. Le soleil baissait rapidement et allait bientôt disparaître. Si la nuit surprenait Piet, il se verrait forcé de rester dans la prairie et d’y camper, avec ou sans abri, selon la bonne ou la mauvaise chance des rencontres du trajet. C’était là une raison suffisante pour ne pas perdre le temps en délibérations inutiles.

À l’aide de son mouchoir, qu’il coupa en minces lanières, le jeune chasseur pansa et banda les blessures encore saignantes que lui avait laissées sa tentative d’ascension sur le doorn-boom. Il extirpa quelques épines restées dans sa chair, n’oublia pas de recharger son fusil et coupa la queue du buffle, moins comme un trophée de victoire que comme preuve de sa revanche prise sur l’animal qui l’avait mené si loin du camp.

Piet eut préféré de beaucoup emporter les cornes gigantesques du buffle. Jamais il n’en avait vu d’aussi longues, d’aussi élégamment recourbées. C’eût été là une dépouille flatteuse à conserver. Mais le temps manquait au jeune chasseur pour détacher les cornes, et la force lui eût ensuite fait défaut pour les transporter. Dans son état d’épuisement, tout ce dont il se sentait capable, c’était de marcher sans fardeau.