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ni son cheval, ni l’hyène, ni le buffle n’étaient visibles à l’horizon. Le cheval avait pu s’enfuir, l’hyène se cacher après sa brusque expulsion de son terrier, mais le taureau que les souvenirs de Piet lui représentaient comme prêt de fondre sur lui, qu’était-il donc devenu ? Comment n’avait-il pas profité du moment où son adversaire était à terre pour le piétiner ? et où se trouvait-il maintenant ? On ne perd pas de vue en un clin d’œil un animal de cette taille dans un paysage plat, et, si le buffle avait continué sa course, Piet l’aurait aperçu, tandis que le témoignage des yeux du jeune chasseur lui attestait qu’il était le seul être vivant dans cette solitude.


CHAPITRE VII
PRIS AU PIÈGE


Il est plus facile d’imaginer les sentiments du jeune Boër que de les décrire. Son étonnement fit place à une sorte de terreur superstitieuse. Il se demanda un instant s’il n’avait pas rêvé cette suite d’incidents bizarres, et s’il n’avait pas poursuivi à travers la plaine un fantôme de buffle, c’est-à-dire un être n’existant que dans son imagination surexcitée.

Mais non ; tout se classait aussi bien dans sa tête qu’avant le début de cette chasse, et la preuve que Piet raisonnait sensément, c’est que sa première idée fut de chercher des yeux une hauteur quelconque capable de lui servir d’observatoire pour inspecter tous les horizons.

Il n’y avait près de la place où il était tombé qu’un monticule, assez élevé d’ailleurs, formé par une fourmilière. Piet gravit cette élévation, et de là, dominant la plaine, il chercha à découvrir son adversaire, devenu si mystérieusement invisible.

Rien, toujours rien !

Pourtant un animal de la taille de ce buffle ne pouvait être dissimulé par les maigres arbustes qui parsemaient la prairie, et il était impossible qu’il fût déjà hors de vue. D’ailleurs, pourquoi le taureau, si rancunier de sa nature, aurait-il abandonné son ennemi vaincu sans lui faire payer cher son attaque ?

Piet se demandait s’il avait blessé le taureau avec ses trois balles et il commençait à retomber dans ses premiers doutes sur l’équilibre de sa propre raison ; il se frottait les yeux, se tâtait, se frappait le front.

Il finit par se demander machinalement tout haut :

« , Suis-je bien éveillé ? »

Comme réponse à cette question, une sorte de ronflement sembla sortir de dessous terre.

Un mugissement plus caractérisé ne laissa bientôt plus de doutes au jeune chasseur. Son buffle devait être près de là.

D’autres bruits plus singuliers ne tardèrent pas à se mêler à ces premières indications de la réalité. C’étaient des froissements de branches qui s’entre-choquaient comme sous l’action d’un vent d’orage. En se tournant vers le côté d’où venaient ces rumeurs encore inexplicables pour lui, Piet vit osciller à droite et à gauche le doorn-boom qu’il avait tenté d’escalader.

« C’est mon buffle qui occasionne cette sorte de tremblement de terre, se dit-il. Il me croit sans doute grimpé dans les branches de l’acacia, et il cherche à en déraciner le tronc à coups de cornes ou à lui donner des secousses assez fortes pour me faire choir. C’est assez bien imaginé pour une épaisse cervelle de buffle, et, quand on est hors de portée des stratagèmes de l’ennemi, c’est plaisir que de rendre justice à leur ingéniosité. »

Les rameaux touffus de l’acacia dont le feuillage retombait jusqu’à terre empêchait Piet de voir le taureau et d’en être aperçu. Le pre-