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Il craignait moins le rire malin de Meistjé. Pourquoi ? c’était son secret.

Ludwig aurait volontiers suivi son ami Piet pour l’aider au besoin. Mais Andriès Blom ne tenait pas du tout à faciliter une revanche au chasseur malheureux. Il ne lui déplaisait pas que Piet revînt bredouille de sa chasse, et, afin de donner au buffle blessé plus de chances de salut, il cria au frère de Katrinka :

« Poursuivons la bande et tentons de tuer encore deux individus. C’est une occasion que nous ne retrouverons pas de sitôt.

— Oui, oui, c’est cela », s’écria Karl de Moor.

Et piquant des deux, il s’élança à la suite d’Andriès.

Entraîné par leur exemple, Ludwig oublia Piet.

Autant dire tout de suite qu’ils ne parvinrent pas à rejoindre le troupeau de buffles ; mais ce n’était là pour Andriès qu’une question secondaire. Il y avait au fond de tout cela un peu de jalousie contre Piet, que son naturel enjoué, sa complaisance à rendre service rendaient le favori de toute la caravane. Mme Blom et Mme Rynwald notamment s’adressaient toujours au jeune fils du baas, quand elles avaient besoin.d’une aide masculine pour les soins qui leur incombaient, parce qu’elles trouvaient en Piet un empressement à leur être agréable qui, trop souvent, manquait à leurs propres fils. Imitant en cela leurs mères, les jeunes filles appelaient Piet Van Dorn à leur secours dès qu’elles étaient embarrassées, soit par un outil cassé, soit par une commission à faire, et ces faveurs-là causaient de l’ombrage à Andriès.

Quant à Karl de Moor, ni le fils de Blom, ni Ludwig Rynwald ne se doutaient du mobile qui le poussait à les suivre en abandonnant le jeune chasseur.

De son côté, Piet ne s’inquiéta pas de cette séparation. Son père Jean Van Dorn lui avait transmis en héritage une vive passion pour la chasse. Il se jeta à corps perdu à la poursuite du buffle fuyard. Lorsqu’il en fut rapproché après un temps de galop, il constata, non sans surprise, qu’il avait devant lui un taureau d’une taille démesurée, selon toute probabilité le patriarche de la bande. Le jeune homme n’en fut que plus dépité de ne l’avoir pas abattu du premier coup.

À quelque endroit que la balle l’eût frappé, le taureau ne paraissait pas souffrir beaucoup ; il galopait la queue haute, chassant de ses naseaux un souffle formidable. Hildy, le bon cheval de Piet, avait grand’peine à gagner sur le fugitif. Enfin il y parvint.

« Cette fois, se dit le chasseur, il s’agit d’abattre mon gibier. »

Et visant soigneusement, il tira.

Le taureau fut touché. Pourtant il ne chancela même pas sur ses jambes. Après avoir poussé un mugissement de douleur, il secoua furieusement ses cornes aiguës et accéléra son allure.

Piet croyait si bien lui avoir donné le coup de grâce qu’il fut à la fois stupéfait et vexé de le trouver encore si vaillant. Le chasseur s’empressa de recharger son roër et la poursuite recommença, plus acharnée que jamais.

Ce fut pendant six ou sept kilomètres une véritable chasse à courre.

À la troisième balle reçue, le buffle fut profondément atteint ; devenu furieux, il changea de tactique et voulut faire face à l’ennemi. Se retournant avec une agilité surprenante chez un animal aussi gros, il chargea Piet à fond de train.

Pour éviter cet assaut, le chasseur fit faire un demi-tour à son cheval. Tout à coup le terrain manqua sous les quatre pieds de Hildy, et le cavalier, qui ne s’attendait guère à pareille aventure, fut jeté par-dessus la tête de sa monture, tandis qu’un cri sauvage, perçant, retentissait à ses oreilles.

Le cheval s’était enfoncé jusqu’à mi-jambe dans le repaire d’une « hyène qui rit ».

L’hyène qui rit, H. crocuta, se creuse souvent des terriers, à moins qu’elle ne les rencontre tout faits et qu’elle ne s’approprie la demeure des fourmis-lions. Cette espèce, plus, petite que l’hyène commune, est plus brave et assez redoutable pour mériter le nom de tigre-loup que lui donnent les colons de l’Afrique méridionale.

L’animal, que cette chute d’un cheval et d’un cavalier délogeait de son gîte, bondit dans la prairie en poussant des sons qui tenaient à la fois du cri strident et du rire. C’était pour le jeune chasseur comme une raillerie de sa mésaventure.

« Je suis certain qu’Hildy s’est cassé les jambes, se dit-il. Pauvre Hyldy… me voici dans une jolie situation !… Et cette sotte hyène qui me rit au nez !… »

Contre toute prévision, le cheval ne s’était pas blessé ; mais, doublement effrayé de sa