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CHAPITRE VI
À LA POURSUITE D’UN BUFFLE


À l’exception de Piet, d’Andriès, de Ludwig et de Karl de Moor, qui semblaient se concerter en causant avec animation, les chasseurs mirent pied à terre pour achever les buffles blessés et dépouiller les morts.

« Eh bien ! jeunes gens, dit le baas, vous ne venez pas nous aider ? »

Ludwig Rynwald s’avança en ambassadeur.

« Baas, dit-il d’un ton respectueux, nous voudrions bien obtenir de vous la permission de fournir un temps de galop à la poursuite des fugitifs ; peut-être aurions-nous la chance d’en atteindre un. Nous sommes tous trois tellement excités que nous aurions besoin de trotter un peu pour calmer nos nerfs ; mais si notre aide vous est nécessaire…

— Les domestiques nous aideront, répondit le baas, qui sourit de cette ardeur de jeunesse. Si vos pères consentent à vous permettre une pointe à travers la prairie, je n’y vois pas d’inconvénient pour ma part.

— Allez ! allez ! » dirent en même temps Klaas Rynwald et Hans Blom.

Les trois Vee-Boërs se souvenaient de l’entrain enivrant de leurs premières expéditions de chasse, et ils ne voulaient pas priver leurs fils de ces émotions dont, à leur tour, ceux-ci étaient avides.

Les jeunes gens remercièrent leurs pères par un hurrah frénétique, et ils partirent à fond de train, suivis par Karl de Moor.

« Ah ! c’est étonnant ! s’écria Hans Blom. Ce personnage impassible se laisse gagner comme un jouvenceau par la passion de la chasse !

« Peut-être veut-il protéger nos enfants en cas de danger, » répondit le baas.

C était, en effet, la seule explication que le digne Jan Van Dorn pût trouver à l’étrange détermination de Karl de Moor.

Chasseur hors ligne, bien connu pour la justesse et la rapidité incroyables de son tir, Karl de Moor n’avait plus à faire ses preuves, et l’on ne pouvait raisonnablement supposer qu’un homme de son âge et de son caractère grave pût se laisser emporter par l’ardeur juvénile qui poussait en avant Piet, Andriès e Ludwig.

Il avait d’abord laissé un certain intervalle entre lui et la chevauchée des trois jeunes amis. Ceux-ci ne remarquèrent sa présence qu’au moment où il les rejoignit.

Arrivés à portée de fusil du troupeau, les trois jeunes gens firent feu en même temps. Deux buffles tombèrent, tués raides. Un troisième, touché par Piet, mais seulement blessé, se sépara de ses compagnons et s’enfuit dans une direction opposée. Piet se mit à sa poursuite. Plutôt que de laisser échapper son gibier, Piet aurait fourbu son cheval, son précieux Hildy, qu’il aimait tant et dont il ne confiait le soin à personne.

En ce moment, Karl de Moor, dont le terrible roër donnait la mort à tout coup, aurait pu tirer sur l’animal blessé et mettre fin de cette façon à la poursuite de Piet. Il n’en fit rien pourtant, et l’on aurait pu voir passer sur sa rude figure une expression de joie cruelle.

« Où court-il, ce jeune fou ? » grommela-t-il entre ses dents.

Piet lui-même n’aurait pas pu répondre à cette question. Tout ce qu’il savait, c’est qu’il avait manqué son coup devant des chasseurs plus heureux que lui-même et qu’il ne voulait pas supporter un semblable affront.

« Ils riraient de moi au camp, pensait-il en rechargeant son roër ; ils épilogueraient sur ma maladresse… et si Katrinka riait de leurs moqueries à mes dépens… »