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vée au camp. C’était le seul moyen de salut. Encore n’était-il pas certain qu’il réussît.

Les buffles étaient encore loin. Les chasseurs, au nombre de douze, s’élancèrent au devant d’eux au triple galop.

Arrivés à trois cents mètres environ de la tête de colonne, ils s’arrêtèrent net à un signal du baas et attendirent de pied ferme le moment favorable à l’attaque.

La masse bovine avançait toujours. Elle eût infailliblement renversé et piétiné à mort hommes et chevaux si les Vee-Boërs n’avaient eu d’autres obstacles à opposer à sa marche que leurs personnes ; mais les cavaliers ainsi postés à l’affût, envoyèrent au troupeau une volée de balles, qui fit mordre la poussière à six ou sept buffles de la première ligne. Les balles dont l’effet ne fut pas foudroyant heurtèrent les larges cornes de ces animaux et ricochèrent au hasard, mais elles causèrent des blessures, parce qu’elles portaient dans une masse compacte, les buffles se touchant d’épaule à épaule.

Les cadavres des bœufs tués, étant projetés en avant par la force même de leur impulsion, entravèrent la marche de toute la bande et la forcèrent à stopper. Épouvantées par le fracas des détonations, ces énormes bêtes noires hésitaient à continuer leur course vers la rivière ; mais leur arrière-garde, moins intimidée, voulut forcer les rangs des premières lignes. Peut-être allaient-ils s’élancer de nouveau, et alors tout serait perdu.

Les Boërs prévinrent cette catastrophe en poussant de grands cris. En même temps, ils tiraient une seconde volée de coups de feu qui abattait encore une demi-douzaine de buffles et en blessait d’autres. Toutefois, l’intention des émigrants n’était pas de causer un carnage. Ils voulaient seulement obliger le troupeau à changer de direction.

Leur vœu se trouva réalisé plus tôt qu’ils n’osaient l’espérer. Peu désireux d’essuyer une seconde décharge, les buffles de l’avant-garde obliquèrent à gauche, et, suivis du reste du troupeau, s’enfuirent à toute vitesse en tournant le dos à la rivière.

« Hurra ! » s’écrièrent les Vee-Boërs.

Le baas découvrit gravement sa tête, et dit à ses compagnons de danger :

« Rendons grâces à Dieu, les nôtres sont sauvés ! »

L’exemple pieux donné par le chef fut suivi par tous les Vee-Boërs ; mais Karl de Moor resta immobile sur sa selle sans porter la main à son chapeau pour le soulever. Il suivait de l’œil le troupeau sauvage et paraissait inattentif à ce qui se passait à ses côtés. Celte attitude singulière frappa Klaas Rynwald, qui poussa son cheval auprès de celui du baas pendant que les cavaliers s’avancaient un peu pour voir de plus près le gros gibier qui était resté sur le terrain.

« Notre compagnon est bizarre, dit-il tout bas, de façon à n’être entendu que de Jan Van Dorn. Pourquoi ne s’est-il pas associé à la prière d’action de grâces que vous avez prononcée et que nous avons tous répétée du meilleur de notre cœur ? Baas, je n’aime pas cela.

— Je crois notre compagnon à plaindre, répondit le baas, s’il est aigri par les malheurs qu’il a subis, comme le prouvent son humeur morose et la sécheresse de son cœur. Mais n’oublions pas, ami Rynwald, de nous rappeler ses qualités chaque fois que nous serons tentés de critiquer ses défauts. Il est de bon conseil dans les délibérations et brave au moment du combat. Donc, ses défauts ne nuisent qu’à lui-même, et ses qualités sont utiles à tous ; voilà plus qu’il n’en faut pour que nous lui pardonnions ce qui nous choque en lui. »