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sa promenade automatique. La jeune fille n’est pas encore revenue de l’étonnement que lui cause cette manœuvre subite, quand elle entend un bruit de pas, un cliquetis d’armes, et le piquet de garde tourne le coin de l’édifice, sous les ordres d’un grand cadet chevronné.

« Halte ! Armstrong, avancez à l’ordre ! » commande le caporal.

Le jeune homme se rapproche, donne le mot à vois basse et prend la file à l’arrière-garde ; puis le piquet, laissant un nouveau planton, se remet en marche.

La fillette est restée sur son banc et assiste à la scène. Comme elle lève les yeux sur le détachement, au moment où il passe devant elle, elle rencontre ceux du grand cadet chevronné, — deux yeux étincelants dont le blanc contraste avec le teint du sous-officier, cuivré comme celui d’un Indien, et ses cheveux d’un noir de jais.

« Fort beau ! se dit à part la jeune fille, mais d’une physionomie singulière. »

Pendant qu’elle rentre chez sa cousine et qu’elle lui raconte son escapade, Armstrong est déjà au quartier, en train de se débarrasser de tout son attirail, en disant à son camarade, le grand cadet au teint cuivré :

« Voilà ce que j’appelle une bonne petite fille ! Sais-tu, mon vieux Mac, qu’elle s’est chargée de m’obtenir la première valse de miss Brinton ? Qu’est-ce que tu dis de cela ? »

Le caporal Mac Diarmid, qui a déjà le nez dans un livre de trigonométrie, le relève pour répondre :

« Je dis que, le jour du classement, je m’en irai passer ma soirée au bal de Benny-Bar. »

Armstrong est redevenu sérieux.

« Si tu m’en croyais, Mac, tu renoncerais une bonne fois à ce bal public ! Tu finiras par attraper un mauvais point de trop, et puis tu en seras bien fâché… Que de peines, que d’études perdues pour toi, si tu ne sortais pas de l’École avec ton grade, bien mérité d’ailleurs !

— Bah ! dit Mac Diarmid avec un sourire amer, chacun s’amuse comme il peut, n’est-ce-pas ? Qu’irais-je faire à vos bals, moi ? À Benny-Bar, un homme en vaut un autre ; voilà pourquoi j’y vais, et j’irai aussi longtemps que je n’aurai pas fait… »

Il s’arrêta comme s’il eût craint d’en trop dire.

« Fait quoi ? demanda Armstrong.

— Et bien ! fait… ce que je ferai un jour ou l’autre, tu le verras bien ! s’écria Mac Diarmid avec un singulier mouvement de tête en se remettant au travail.

— Allons, allons, répondit Armstrong, quand tu seras classé à ton rang, tu ne penseras plus à tout cela. »


CHAPITRE II
DEUX ANS APRÈS

Deux ans se sont écoulés, et, pour la seconde fois, le jour du classement est revenu. Les examens sont terminés, les nouveaux officiers ont reçu leur commission et abandonné pour toujours fusil, guérite et factions.

La fête est dans son plein ; sur le parquet bien ciré du Hall de l’École militaire, les accords entraînants du Beau Danube bleu font tourbillonner les valseurs. De tous côtés, les officiers en grand uniforme coudoient les cadets pimpants, tandis qu’un essaim d’anges aux ailes blanches manifestent, par des regards brillants et par des conversations animées, le vif intérêt que leur inspirent en tous pays épaulettes et broderies d’or.

Autour de la porte d’entrée, se tiennent groupés les pauvres cadets de première année,