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prenaient leur ligne et allaient la jeter dans la rivière, avec l’espoir de rapporter une friture pour le souper et de remplir ainsi le rôle important de pourvoyeurs.

À midi, tout mouvement cessa. Aucun travail n’est possible dans ces régions à cette heure brûlante. Les émigrants firent la sieste à l’ombrage du mowana, tandis que les bestiaux cherchaient un peu de fraîcheur sous les grands arbres qui bordaient leur pâturage.

Il faut avoir connu les périls, les fatigues morales et physiques de ces terribles voyages à travers le désert, pour pouvoir comprendre ce que vaut une journée de loisir et de repos dans les circonstances où se trouvait la caravane des Vee-Boërs. On oublie tout, même que l’avenir le plus proche peut amener de nouveaux dangers, pires que ceux dont on a fini par se tirer.

Tel était l’état d’esprit des émigrants. Tous jouissaient des bienfaits de l’heure présente, sans souci du lendemain.


CHAPITRE V
UNE ALERTE


Au bout d’une heure ou deux, le camp se ranima. Les domestiques cafres en sortirent les premiers pour vaquer aux soins des vaches laitières, tâche dans laquelle ils excellent. Même dans le pays des Zoulous, la race cafre trouve dans les occupations de la bergerie et de la laiterie sa principale source de richesse ou de subsistance.

Le baas proposa aux jeunes gens, qui venaient prendre ses ordres au sujet de l’occupation du reste de la journée, d’établir une cible pour y exercer leur adresse. C’était combler les désirs des quatre amis ; leurs parents se prêtaient d’autant plus facilement à ce plaisir qu’un adroit tireur est tenu en haute considération chez un peuple qui doit une partie de sa subsistance à la chasse et que ses mœurs nomades exposent à plus d’un danger.

Piet et Hendrik Van Dorn, Ludwig Rynwald et Andriès Blom se connaissaient dès l’enfance et rivalisaient d’adresse à tous les jeux. D’après les instructions du baas, ils installèrent le tir dans la prairie, un peu au delà du camp, pour éviter tout accident. Des œufs d’autruche, préalablement débarrassés de leur contenu par le procédé ordinaire d’aspiration, servaient de but.

Le baas, qui aimait à stimuler l’adresse des jeunes tireurs, pria sa femme d’amener dans la prairie ses compagnes, Mme Blom et Mme Rynwald, ainsi que leurs filles et tous les enfants désireux d’applaudir aux prouesses de leur aînés.

La présence de tant de spectateurs ne contribua, pas peu à inspirer aux jeunes gens une vive émulation. Les quatre compétiteurs pouvaient passer pour habiles au tir, eu égard à leur jeune âge. Ils touchaient le but quatre fois sur six environ, à cent pas de distance. À deux cents pas, il était même rare qu’ils s’écartassent beaucoup de la cible. Leurs longs roërs avaient une portée plus longue. Une antilope de taille moyenne passant à trois cents pas était la proie assurée de tout fin chasseur, armé d’un fusil de ce genre.

Des paris s’engagèrent entre les trois pères de famille et Karl de Moor. Quant aux mères, chacune d’elles faisait évidemment des vœux intimes pour le succès de son fils, mais la politesse à l’égard de ses compagnes l’empêchait de les manifester ; les jeunes filles aussi souhaitaient secrètement que tel ou tel des tireurs l’emportât sur les trois autres, mais elles étaient encore plus disposées que leurs mères à la discrétion, en dépit de la maxime banale qui accuse le sexe féminin de ne pouvoir taire ce qui lui occupe l’esprit.

Il s’agissait donc de savoir lequel des quatre