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— Ni un grand ni même un petit, lui répondit sa sœur Katrinka, parce que tu n’as contribué en rien à cette attention. Je ne savais pour qui Hendrik, Piet et Andriès préparaient un siège aussi moelleux ; mais je les ai vus s’escrimer tous trois à traîner ce tronc d’arbre, à courir aux wagons pour en rapporter les plaids, et tu ne les aidais pas, puisque tu es resté assis auprès du baas avec la solennité d’un invité de première classe.

— Voilà bien l’ingratitude humaine ! s’écria plaisamment Ludwig Rynwald. D’ailleurs, de quoi m’étonnerais-je ? Je serais le premier frère auquel sa sœur rendrait justice. Mais, cette fois, je proteste. Sachez, mesdemoiselles, je vous parle à toutes les quatre, que c’est à moi seul que vous devez l’installation dont vous, savez gré à d’autres. Le mérite de l’invention me revient ; Piet, Hendrik et Andriès n’ont fait qu’exécuter ce que je leur ai suggéré. Qu’ils osent me démentir…

— Nous n’avons garde, dirent les trois amis amusés par l’emphase comique de Ludwig et aussi aises que les jeunes filles de cette bonne partie de rire.

— Il faut donc, pour être justes, que vous me remerciez aussi, continua Ludwig, et d’un meilleur cœur encore, car la tête qui conçoit est supérieure aux bras qui exécutent.

— Eh bien ! Ludwig, dit Rychie Van Dorn, nous vous savons bon gré de l’idée que vous avez eue de nous préparer un siège aussi doux. »

Meistjé Rynwald, qui était assise auprès de Rychie, la poussa du coude en lui faisant la moue.

« Oh ! que c’est vilain, lui dit-elle, d’être si indulgente pour mon frère. Ne comprenais-tu pas que nous avions une bonne occasion de le faire enrager ? Il ne voulait que ton approbation, car il se soucie peu de la nôtre, et si tu n’avais pas parlé, il t’aurait crue aussi fâchée que nous de ce qu’il n’a pas pris part à la prévenance de nos amis, et nous aurions obtenu de lui quelque autre chose. Moi, j’ai envie de goûter pour mon dessert à ces fruits du baobab qui nous ombrage. Ils sont trop haut perchés pour pouvoir les atteindre. Nous aurions exigé que Ludwig montât à l’arbre pour y faire une cueillette ; mais tu as trahi notre cause. Pourquoi tant d’indulgence envers mon frère ? »

Rychie écoutait cette remontrance avec confusion et tout ce qu’elle sut répondre à Meistjé, ce fut :

« Que tu es méchante aujourd’hui ! »

Puis, elle eut envie de s’assurer que personne n’avait pu entendre la moralité qu’elle avait subie, mais elle n’osa jamais lever les yeux pour cela. Elle n’en avait pas fini avec Meistjé, qui appela d’une voix flûtée son frère, occupé à causer avec Piet à quelques pas de là.

« Ludwig, sais-tu ce que me disait Rychie ? demanda-t-elle au jeune homme quand il se fut rendu à cet appel. Elle voudrait goûter aux fruits du baobab, et ils sont si hauts… »

Elle n’avait pas terminé sa phrase que Ludwig quittait sa veste pour se mettre en devoir de satisfaire au désir de Rychie Van Dorn.

« Mais je n’ai rien dit ! s’écria Rychie toute rougissante. Ludwig, c’est au contraire votre sœur. Oh ! Meistjé, comme c’est laid d’être taquine ! Avec cette figure d’ange et ce petit air doux, qui croirait cela de toi ?

— Rychie, parlez-moi franchement, dit Ludwig qui s’était arrêté pendant ce débat. Aimez-vous, oui ou non, ces fruits ?

— Sans doute, je les aime, répondit la jeune fille encore troublée ; mais l’idée de vous donner la peine de grimper au baobab n’est pas de moi. C’est votre sœur qui me la prête.

— Ah ! je comprends et je reconnais là la malice de Meistjé, reprit Ludwig ; mais ni elle ni Katrinka n’auront de ma cueillette. Je vous la destine à vous seule, Rychie, puisque vous êtes seule reconnaissante de ce qu’on fait pour vous.

— Nous serons donc privées de dessert, comme des enfants méchants ! dit Katrinka à Meistjé et à Annie.

— Non, non, s’écria Piet avec vivacité et nous verrons qui, de Ludwig ou de moi, arrivera le plus tôt dans les branches du baobab. »

Cet exemple stimula Hendrik et Andriès, et bientôt les fruits tombèrent comme grêle dans les tabliers des quatre jeunes filles.

Pendant ce temps, les gens graves avaient terminé leur repas, et, tout en fumant une pipe, ils s’accordaient un verre de brandey-wyne. C’est une liqueur distillée de la pêche et dont les Boërs font un grand usage. Puis, chacun se remit au travail laissant les enfants seuls oisifs, et encore ! Les plus hardis voulaient renouveler les exploits de leurs aînés et se faisaient hisser jusqu’aux maîtresses branches du baobab ; les moins turbulents