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un sur le sable du désert, d’étape en étape, selon leur degré d’empoisonnement, et leurs cadavres auraient pu marquer la trace du passage de la caravane si les chacals, les hyènes et les vautours, ces agents de la voirie des solitudes, ne s’étaient chargés de les faire disparaître.

De tous les avantages dont les émigrants jouissaient, celui dont ils ne se lassaient pas de louer les bienfaits en souvenir de l’aveuglant reflet du soleil sur la surface sablonneuse du Karrou, c’était l’avantage d’un emplacement ombragé.

Le Mowana ou baobab est un des plus grands spécimens du règne végétal ; mais sa hauteur n’est pas proportionnelle à sa largeur. Il est loin d’approcher des séquoias de Californie. Ses feuilles séchées et réduites en poudre servent d’antidote contre certaines maladies, telles que diverses fièvres et dysenteries, etc… Son fruit, légèrement acidulé, est apprécié des indigènes. C’est essentiellement un arbre des tropiques.

Le mowana du camp, avec ses longs rameaux entrecroisés, répandait de la fraîcheur sur un large cercle de plus de quarante-cinq mètres de diamètre.

Sous cet abri, les Vee-Boërs pouvaient braver les rayons du soleil.

Il était dix heures du matin, et les voyageurs, arrivés de la veille au soir, avaient déjà bien employé leur temps, la clôture du camp et du parc à bestiaux n’étant pas une mince besogne.

Sur des cordes tendues d’une branche à l’autre, diverses pièces de linge nouvellement lavé, indiquaient que les femmes s’étaient activement occupées, pendant que les hommes s’employaient à assurer la sécurité du camp. Tout ce qui encombrait les chariots pendant la marche était étalé à terre pour prendre l’air, et les ménagères actives rangeaient et nettoyaient à fond leur maison roulante. Les jeunes filles, piquées d’émulation, s’empressaient çà et là d’une allure vive et légère, non sans échanger entre elles ces gais propos, ces quolibets mutins par lesquels s’exhale l’aimable surabondance de vie de la jeunesse.

Les haltes sont généralement employées par les émigrants à raccommoder tout leur attirail. Chaque individu de la colonie errante était à l’ouvrage. Les uns réparaient les harnais, les selles et les brides ; les autres inspectaient les roues des wagons dont les rais et les jantes, travaillés par la chaleur, menaçaient de se disjoindre avant peu.

Pour parer à cet inconvénient, ils employaient un moyen fort en usage parmi les Africains du Sud. C’est une enveloppe de peau de bête mouillée, sans aucune autre préparation, qui se rétrécit en séchant et serre le bois plus solidement que n’importe quelle sorte de vis ou d’écrou.

Quelques serviteurs hottentots s’acquittaient du devoir de confectionner des wel-schœnen, c’est-à-dire des souliers de peau, pour remplacer ceux dont une longue marche était venue à bout. Ces souliers sont en cuir non tanné cousu avec des lanières de même nature. C’est la spécialité des Hottentots de fabriquer ces chaussures pour le compte de leurs maîtres, les Vee-Boërs. Ces cordonniers au teint jaune sont doués d’une si grande habileté qu’ils ne mettent que deux heures à confectionner une paire de ces wel-schœnen.

Quand tout fut remis en ordre dans l’intérieur des wagons, les femmes se partagèrent la besogne, suivant leurs aptitudes particulières. Mme Van Dorn, qui avait la direction de la laiterie, se dirigea vers la prairie où les bestiaux paissaient, accompagnée de ses filles Rychie et Annie que suivaient des serviteurs cafres, munis de plusieurs seaux à lait. Pendant cette opération de la traite des vaches, Mme Bynwald et ses deux filles Katrinka et Meistjé s’occupaient à des travaux de couture, et les aiguilles agiles couraient dans l’étoffe, tandis que les aimables sœurs chantaient, au grand plaisir de ceux des émigrants que leurs occupations retenaient à l’intérieur du camp.

L’attribution de Mme Blom était le gouvernement de la cuisine, dont elle s’acquittait avec l’aide de deux négresses ; en ce moment elle et ses deux acolytes s’occupaient à confectionner le second déjeuner ; le premier, que l’activité de tous les colons reléguait déjà au rang des souvenirs vagues, s’ôtait composé, comme d’habitude, de café et de pain.

Le fourneau sur lequel se préparait ce repas substantiel était d’une nature inconnue aux industriels européens qui fabriquent des meubles de ménage de ce genre. C’est en Afrique seulement que l’on use de ce singulier matériel, qui ne doit rien à l’invention humaine. C’était tout simplement une hutte de termites, c’est-à-dire un mélange de boue durcie et de matière gélatineuse, travaillé, dressé par ces