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Les cris d’animaux sauvages ne manquaient pas dans le Karrou. On y entendait même le rugissement lointain du lion. Alarmé par ces sons dont il avait encore le redoutable écho dans les oreilles, le guide Smutz, pendant son heure de garde, crut devoir réveiller le baas pour lui demander si les deux feux entretenus aux extrémités du campement lui semblaient une protection suffisante contre une seconde visite de ces fauves.

« Oui, répondit Jan Van Dorn après avoir écouté le roulement rauque de la voix léonine ; la bête est loin de nous. Il est vrai que l’étang contient assez d’eau pour attirer les couaggas, les zèbres et les gimsboho dont les lions font leur proie, et que la proximité de cet abreuvoir amène des carnassiers dans ces parages, mais nos feux, tels que je les aperçois d’ici, sont assez brillants pour tenir le fauve à distance respectueuse de notre bivouac. Rien à craindre pour cette nuit, Smutz. »

Piet, dont le lit était voisin, s’éveilla pendant ce dialogue et dit au guide : « Vous ne comprenez pas du tout ce que raconte ce lion dans son langage. Il n’y a pas sujet d’alarme, mais de gloire pour nous, Smutz. Il pleure ses frères, tués aujourd’hui par nos roërs ; c’est leur oraison funèbre qu’il prononce au profit des échos d’alentours… Peut-être aussi craint-il que nous n’ayons trop d’orgueil de notre victoire, que nous ne pensions avoir mis à mort tous les fauves du Karrou, et c’est pour rabaisser notre amour-propre qu’il nous nargue à distance. S’il approchait à bonne distance, prévenez-nous, Smutz. Mon roër est soigneusement rechargé, et, maintenant que j’ai fait un premier somme, je me sens dispos pour un combat de nuit.

— Allons ! paix, enfant, dit le baas, qui ne put s’empêcher de sourire des divagations somnolentes de Piet, et toi, Smutz, continue à bien veiller. »

La nuit se passa sans nouvelle alerte, et, de grand matin, après un déjeuner frugal, les voyageurs se remirent en marche.


CHAPITRE IV
SOUS LE MOWANA


Deux jours plus tard, les trois chariots étaient remisés sous un de ces gigantesques baobabs que les Africains du Sud nomment des mowanas. Les Vee-Boërs avaient terminé leur voyage si monotone et pourtant si périlleux à travers le désert du Karrou. Ils comptaient se reposer là de leurs fatigues pendant un certain temps, avant de pousser encore un peu plus au nord. Tout témoignait de l’intention d’une assez longue halte : les bestiaux étaient parqués et les chevaux attachés au piquet ; les chariots formaient un enclos rectangulaire ouvert à l’une de ses extrémités et protégé par une haie bien fournie de buissons épineux. Ces chevaux de frise, placés à une certaine distance des wagons, étaient destinés à empêcher les lions, les hyènes et autres rôdeurs nocturnes de venir voisiner trop près du campement.

Il aurait été impossible de trouver un emplacement meilleur pour une halte. Herbages de première qualité, bois de chauffage, ombrages et courants d’eau rafraîchissants, rien n’y manquait des conditions requises. Une rivière limpide traversait le paysage dans toute sa longueur, et, aussi loin que la vue pouvait s’étendre, elle n’apercevait que des velots, c’est-à-dire des prairies verdoyantes où paissaient les bestiaux, avides de bonne nourriture après les privations subies dans la traversée de l’aride Karrou.

Parmi ces bestiaux, l’on eut vainement cherché les moutons, pas un n’avait échappé au poison de la tulp. Ils étaient tombés un à