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pondit Klaas Rynwald. L’idée seule de la possibilité de ce désastre m’effraie. »

Jan Van Dorn continua :

« C’est un hasard providentiel que nous ayons trouvé cet étang à sec. On ne sait vraiment jamais si l’on est juste en se plaignant des déceptions qu’on éprouve. Quand nous déplorions l’absence d’eau, nous ne nous doutions pas que, cette condition de toute bonne halte manquant, nous préserverions, en quittant ce lieu, notre caravane du plus affreux désastre. Perdre nos montures et nos attelages, dans ce désert si vaste, mais ce serait la mort à bref délai !… »

Cependant la chaleur diminuait à mesure que le soleil s’inclinait sur l’horizon, et la brise du soir ranimait les forces épuisées des émigrants. Enfin la lune se leva, et sa douce clarté rendit plus facile la marche en avant de la caravane, qui précipita son allure.

Vers minuit, on atteignit le second étang dont avaient parlé le guide et Karl de Moor. Du sable fin tapissait sa conque tarie. Etait-ce donc une nouvelle déception ?… Non, en y regardant de plus près, on voyait des cavités pleines d’une eau claire où se reflétait le disque argenté de la lune. Ces cavités étaient l’ouvrage des couaggas et des zèbres qui se creusent des puits à l’aide de leurs talons.

Les écrivains parlent souvent de l’instinct des animaux. Il faut avouer que, dans les cas semblables à celui-ci, cet instinct ressemble fort aux raisonnements prévoyants de l’homme. Et combien d’exemples on pourrait citer de cette admirable sagacité de ces êtres inférieurs dont nous méconnaissons, par habitude ou par inattention, les qualités !

Avec une précipitation bien compréhensible de la part de gens torturés par la soif depuis près de vingt-quatre heures, les Vee-Boërs se mirent en devoir d’élargir les puits des zèbres. Bientôt ils eurent pratiqué une ouverture qui livra passage à une quantité d’eau suffisante pour leurs besoins.

Ce ne fut pas chose facile que d’empêcher les bestiaux de se précipiter sur le petit étang ainsi formé. Toutes les mains disponibles eurent assez à faire pour contenir L’ardeur de ces bêtes altérées. La subtilité de leur odorat leur révélait le voisinage de l’élément tant désiré. Ils beuglaient, mugissaient, hennissaient, bêlaient à qui mieux mieux, et faisaient de vains efforts pour s’élancer vers la mare. Mais l’eau était trop précieuse pour la perdre.

Les pieds des bestiaux l’eussent troublée pour de longues heures. Les bergers montèrent la garde autour de la citerne pendant qu’on distribuait aux voyageurs de quoi étancher leur soif. Quand tout le monde se fut rafraîchi, les pasteurs abreuvèrent les bestiaux au moyen de seaux de roseau qui faisaient partie de leur bagage.

Ces seaux, d’une espèce particulière, sont les « paniers à lait » des Cafres. Leur légèreté les rend plus commodes à emporter en voyage que tout autre ustensile analogue, en terre ou en fer. On les fabrique avec les tiges d’un certain byperus. C’est un jonc de l’espèce du « roseau à papier » ; on tresse ces tiges et on les coud ensemble tellement serrées que, lorsqu’elles sont sèches, l’eau ne passe pas à travers. Les Cafres se servent de ces seaux comme récipients pour traire les vaches. Lorsqu’ils sont vides, ce sont les chiens de ces bergers qui sont chargés de laver les seaux avec leur langue. Ce nettoyage fantaisiste est complété par un insecte, le blatta, qui pompe ce qui peut rester de lait dans les interstices des nattes. Les Cafres trouvent si utile le service rendu par cet insecte que, lorsqu’ils se mettent en ménage ou lorsqu’ils ont besoin de meubler leurs nouvelles huttes de « paniers à lait, » ils laissent séjourner les récipients neufs dans leurs anciennes habitations jusqu’à ce qu’ils aient été favorisés par l’émigration dans leurs nattes d’une colonie de ces marmitons excentriques.

Les voyageurs harassés ne prirent que le temps d’avaler quelques bouchées avant de se livrer au sommeil. Mais, d’après l’injonction du baas, des sentinelles se relayant d’heure en heure veillèrent à la sécurité commune.

On ne parqua même point les bestiaux, précaution superflue d’ailleurs, tous étant trop rompus de fatigue pour être stimulés par quelque velléité de fuite. Et puis, en voyage, les animaux domestiques considèrent les wagons comme l’habitation normale de leur maître. Ils se groupent autour, comme s’ils comprenaient que là est leur plus sûr refuge contre les atteintes des bêtes féroces, et ils n’ont garde de s’en éloigner.

En outre, les troupeaux des Vee-Boërs étaient retenus par la frayeur que leur avait causée l’attaque des lions. Ils tremblaient cette nuit-là au moindre bruit. La voix aigre de la hyène, dont la couardise est proverbiale, les mettait en émoi.