Page:Reid - Aventures de terre et de mer, Hetzel, 1891.djvu/221

Cette page n’a pas encore été corrigée

« Ces pauvres lions ! nous leur devons pourtant d’avoir oublié que nous sommes tourmentés par la soif. Ils ont fait diversion à nos angoisses.

— C’est vrai ! c’est juste ! »

Ces exclamations partirent comme en écho des autres wagons, et cet incident, qui aurait pu devenir funeste, se termina, pour les uns, par un éclat de rire, et, pour ceux des émigrants dont l’esprit d’observation avait une plus grande portée, par des réflexions sur la flexibilité de l’être humain, qui peut être détourné du sentiment de ses misères par une émotion assez forte pour y faire contrepoids.


CHAPITRE III
LA TULP


Devait-on se remettre en marche tout de suite, ou prolonger jusqu’au milieu de la nuit cette halte qu’on avait été obligé de faire à la lisière du bois de mopanés ? Cette question fut agitée dans le conseil que tint le baas avec ses amis. Tous trois s’accordaient pour aller à la recherche de ce second étang, qu’on leur assurait contenir plus d’eau que ce vley desséché par le soleil. Le jour commençait d’ailleurs à baisser, et, la chaleur diminuant, les piétons auraient moins à souffrir que dans l’étape du matin.

Mais Karl de Moor, toujours admis à donner son avis, fut d’une opinion contraire.

« Je pense, dit-il, qu’il serait plus opportun de nous arrêter ici une heure ou deux. Après une alerte pareille, on éprouve le besoin de respirer, de refaire ses forces dans le repos. Nos serviteurs tremblent encore et sont incapables de marcher, et voici Mlle Katrinka toute pâle d’émotion. »

La jeune fille se récria :

« Vous croyez que c’est de la frayeur ! dit-elle. Je n’ai pas du tout perdu la tête pendant le combat. Si j’avais eu un fusil, je vous l’aurais bien prouvé ; mais mon père ne veut pas me confier d’arme à feu. Comprenez-vous cela ? ajouta-t-elle en se tournant avec une moue dépitée vers son ami Piet Van Dorn, qui était encore accoudé à la galerie du chariot.

— Dussiez-vous être fâchée contre moi, répondit le jeune homme, j’approuve Mynherr Rynwald. Vos petites mains ne sont pas faites pour tenir un fusil. Vous pourriez vous blesser. Cela inquiéterait vos amis, sans compter que vous leur ôteriez ainsi le plaisir de vous défendre. »

La sœur de Piet, Annie Van Dorn, qui était à côté des deux filles de Rynwald sur le chariot, se mit à rire de ces derniers mots de son frère.

« Vois, dit-elle à Katrinka, comme ces jeunes gens mettent de l’amour-propre à rappeler, pour se faire valoir, les services qu’ils ont rendus. C’est qu’ils tiennent à ce qu’on leur en sache gré. Avoue pourtant, Piet, que ce n’est pas une ambition déplacée de la part de jeunes filles dans notre situation que de désirer connaître le maniement des armes.

— Non certes, dit Katrinka encouragée par cette aide amicale, ce n’est pas pour me poser en chasseresse ni pour prendre des allures masculines que je souhaitais avoir un fusil. Je trouverais cette idée absurde chez des femmes habitant Rotterdam ou Harlem ; elles ne chercheraient en cela qu’à se singulariser ; mais, dans ces déserts où le moindre pli de terrain peut cacher un danger, il serait bon qu’il n’y eût pas de non-valeur dans notre troupe au point de vue de la défense, et je crois bien que nous aurions toutes le courage de tirer un coup de fusil pour le salut commun. Je réponds de moi, en tout cas.

— Et moi, je ne réponds que de ma poltronnerie, dit la blonde Meistjé avec un sou-