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Excusez-moi, je vous en prie. Mais je ne dois pas m’arrêter… »

On pourrait démêler, dans le ton de sa voix, quelque chose comme une trace de désappointement. Peut-être avait-il cru d’abord reconnaître une autre interlocutrice. Mais la jeune fille ne veut même pas apercevoir cette nuance.

« Je suis vraiment désolée, monsieur, reprend-elle, que vous ayez été puni à cause de moi… Voici votre bouton que je vous apporte… Me pardonnerez-vous d’avoir été la cause de tout cet ennui ? »

Ce disant, elle lui tend un bouton d’uniforme, — l’innocent bouton dont l’absence a valu au jeune cadet cette faction supplémentaire.

L’élève Armstrong, cadet de troisième classe, la regarda un instant avec étonnement.

« Comment ! c’est à vous ?… dit-il à la fin. Je croyais… Mais c’est vrai, miss Nettie, c’est bien à vous que j’ai donné ce bouton ?

— Mais oui, vraiment. Et je vous assure que je ne me doutais guère, en vous le demandant, de ce que cette libéralité vous coûterait !… Je croyais que vous autres, messieurs les cadets, en aviez toujours une provision à offrir à vos danseuses !… Ma cousine Juliette en a un si grand nombre ! et elle m’a dit que c’était parmi ces demoiselles à qui en obtiendrait le plus… Je ne savais pas que celui-là vous manquerait assez pour que, faute d’avoir pu le remplacer, vous pussiez être puni… »

Pendant ce colloque, le jeune planton, assez mal à l’aise et craignant d’être aperçu par quelque officier, n’a pas cessé d’aller et venir comme s’il montait régulièrement sa garde. Il ne peut pourtant s’empêcher de rire de la naïveté de la fillette, et, se tournant vers elle pour lui montrer que son uniforme était remis au complet :

« Vous voyez qu’il ne me manque plus, miss Tsettie, dit-il. C’est mon étourderie qui m’a valu ma punition, et il n’y a pas du tout de votre faute. Et après tout, une faction de plus ou de moins… cela ne vaut pas la peine de vous inquiéter ! Je vous en prie, attendez là un instant, pendant que je fais mes cent pas. Veuillez vous asseoir sur ce banc… je ne dois pas m’arrêter plus longtemps. »

Avant même qu’elle ait bien compris ces paroles, il est déjà parti et s’éloigne au pas, juste au moment où un officier en petite tenue sort de l’Académie, un éventail de plumes à la main. Il est si gros et si gras, l’officier, qu’en traversant la place pour se rendre au bar voisin, il paraît prêt à fondre, en dépit de son pantalon blanc et de son panama. Par bonheur, c’est un homme à tête grise ; il ne remarque même pas la présence de la jeune fille, et il appartient au commissariat, ce qui l’empêche de faire attention à l’allure peu militaire de la sentinelle.

À peine son pantalon blanc a-t-il disparu dans l’entrebâillement de l’estaminet, que le jeune homme revient vers le banc déserté si précipitamment, et, après s’être assuré qu’il n’y a personne en vue :

« Vous me pardonnerez de vous avoir quittée si vite, miss Nettie, dit-il. Mais il nous est formellement interdit de parler pendant une faction… Votre cousine, miss Juliette Brinton, va bien ce matin ? »

Il a fortement rougi en articulant cette simple question ; mais la jeune fille ne remarque pas cette circonstance.

« Très bien, je vous remercie… Mais dites-moi, monsieur, est-il vrai qu’aux arrêts on vous garde dans un vilain trou noir, au pain et à l’eau ? »

Il se mit à rire.

« Non certes. Qui a pu vous dire de tels contes ?

— Mon cousin Cornélius. C’est pourquoi j’étais si désolée de mon étourderie… Ainsi vous voulez bien que je garde ce bouton ?

— Assurément, miss Nettie, et je vous prie de ne pas vous inquiéter une minute de ma punition. Et de votre côté, voudriez-vous me faire un grand plaisir ?

— De tout mon cœur, dit la fillette enchantée.

— Ce serait, — ici le jeune homme rougit de plus belle, — ce serait de demander à miss Brinton si elle viendra au bal de l’École, le jour du classement, et, dans ce cas, si elle voudrait bien m’accorder la première valse. Vous ne me refuserez pas cela, miss Nettie, à moi qui suis puni pour vous ?… »

« Certes, je ferai votre commission, dit-elle. Et vous, monsieur, voudrez-vous faire graver votre nom sur ce bouton, puisque vous m’autorisez à le garder ?

— Le plus volontiers du monde. Donnez-le moi, et je vous le rendrai au bal.

Armstrong, qui vient de reprendre son bouton, a tout à coup sauté sur ses pieds et repris