Page:Reid - Aventures de terre et de mer, Hetzel, 1891.djvu/217

Cette page n’a pas encore été corrigée

Les heures s’écoulaient sans amener de répit aux souffrances de la caravane. Au contraire, le soleil dardait d’aplomb sur leurs têtes ses flèches de feu, et, pour ajouter une difficulté de plus à toutes celles qu’on subissait déjà, la région à traverser était couverte de plantes épineuses qui déchiraient les jambes des piétons.

Retardés par ce nouvel obstacle, ils ne pouvaient plus faire les cinq kilomètres à l’heure qui sont la moyenne réglementaire des trajets dans l’Afrique méridionale. Cette lenteur préoccupait d’autant plus le baas qu’il ignorait quand cette cruelle étape pourrait prendre fin.

Un seul espoir soutenait l’énergie du chef. Le guide Smutz, dont le dire était confirmé par Karl de Moor, affirmait qu’on trouverait, à quinze ou dix-huit kilomètres de distance, un lac ne tarissant jamais. Mais, d’après l’allure de la caravane, il fallait encore marcher plus de quatre heures pour arriver à ce lac. Perspective effrayante dans l’état d’épuisement où chacun était ! Hommes, chevaux et bœufs chancelaient à chaque pas.

Et pourtant il fallait aller en avant, sous peine d’expirer de soif en plein désert, et tous, malgré leurs souffrances, ils avançaient courageusement.


CHAPITRE II
UNE BATTUE DE LIONS


Les voyageurs aperçurent à l’horizon une tache noire qui s’accentuait et s’élargissait à vue d’œil à mesure qu’ils s’avançaient.

« Voilà le vley ! » dit le guide Smutz.

Le « vley », c’est-à-dire l’étang si impatiemment désiré, l’oasis de ce désert de sable.

À ce seul mot, la caravane reprit courage. Les piétons hâtèrent leur marche ; les bestiaux mêmes, avertis par l’instinct de l’approche d’un lieu de repos, n’eurent plus besoin d’être excités. Les derniers kilomètres furent vaillamment franchis. Enfin l’on arriva.

Hélas ! l’espérance des Boërs était encore loin de sa réalisation. Le lac était tari comme toutes les mares précédentes et même davantage, car son fond n’avait pas gardé son lit de vase humide. Ce fond était pavé de cailloux crayeux, semés de poussière blanche, qui reflétaient comme un vaste miroir les rayons du soleil couchant. Pas une seule goutte d’eau !

Quant à l’ombre annoncée, c’était aussi bien un mythe que l’eau absente. Le bois environnant le lac était d’une essence qui n’abrite pas plus du soleil qu’un treillis en fil de fer, semblable par cette particularité à l’eucalyptus d’Australie. Les arbres de ce bois étaient des mopanés, de la famille des banhinias. Ses feuilles pennées dressent leur pointe en l’air. Le soleil passe à travers et l’arbre le plus touffu de cette espèce ne donne pour ainsi dire point d’ombre.

Aucune parole ne saurait décrire l’amer désappointement des voyageurs. Les infortunés se regardaient sans avoir même la force de se plaindre, et les pères de famille n’osaient envisager les traits alanguis de leurs pauvres enfants criant de soif dans les bras de leurs mères.

Smutz et Karl de Moor essayèrent de relever le courage abattu des émigrants par la promesse qu’on rencontrerait un peu plus loin un étang plus profond. On les écoutait à peine. Tous les visages exprimaient une apathie funeste, celle du désespoir. Évidemment la moitié des émigrants aurait préféré s’arrêter sous l’abri insuffisant des mopanés plutôt que de tenter de nouveaux efforts.

« Que gagnerions-nous à rester ici ? dit enfin la voix respectée du baas. Allons ! encore quelques pas en avant. Le lac ne peut venir à nous ; c’est à nous de courir à notre salut. »

Karl de Moor allait prendre la parole quand