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« Oh ! oh ! dit-elle, prenez garde que les raisins ne soient trop verts !… Il n’est pas encore si sûr que vous puissiez passer votre examen !…

— Grand merci de votre aimable opinion ! Mais je l’ai passé pas plus tard qu’hier. Sans doute vous seriez fort aise que j’eusse échoué ?

— Vous avez passé votre examen, — vraiment ? Ah ! par exemple, j’aurais voulu voir cela ! dit-elle d’un ton qui montre assez que c’est entre eux deux une guerre ouverte.

— Je l’ai passé, — c’est le point capital ! — répond Cornélius d’un ton triomphant. Je vous demande un peu à quoi bon venir s’abêtir à West-Point, quand on peut entrer dans l’armée sans se donner tant de mal ? Une bonne poignée de dollars, voyez-vous ? il n’y a rien de tel !… Avec une poignée de dollars, vous pouvez acheter un cheval, une voiture, une place au congrès, n’importe quoi !

— Excepté de la considération, excepté de l’esprit, pourtant !… »

Cette fois, Cornélius est piqué au vif, et il se détourne en sifflotant. Quant à Nettie, elle paraît fort satisfaite d’elle-même, et, tandis que le bataillon défile, elle demande à Juliette :

« Qu’est-ce que cela signifie donc, aux arrêts ?

— Eh bien, c’est la prison militaire, ma chère, un cachot, une espèce de cave, je crois, ou l’on jette ces pauvres cadets pour les punir… Mais ils s’en moquent joliment ! »

En dépit de cette assurance, Nettie est évidemment troublée de ce qu’elle vient d’apprendre, et il est aisé de voir qu’un petit remords pèse sur sa conscience.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Nous sommes à l’après-midi du lendemain, — un samedi, — jour de demi-congé pour l’Académie militaire, — et les terrains de manœuvres sont déserts. Le cadet qui a été puni hier monte mélancoliquement sa garde devant la porte. Son uniforme est en règle aujourd’hui. Le fameux bouton a été remplacé, la tunique est sans tache et le pantalon blanc resplendit au soleil.

Il est trois heures et le thermomètre marque 96 degrés (Fahrenheit) à l’ombre. Le cadet n’en est pas moins boutonné jusqu’au menton, et son cou est emprisonné dans un énorme col de crin. Il va et vient dans cette lumière aveuglante, sentinelle unique, perdue dans le vide de la place. Il est aisé de deviner qu’il est là par punition, — et, en effet, c’est un extra qu’il monte, comme on dit à West-Point, au lieu d’avoir sa demi-journée à lui et de s’amuser à sa guise.

La chaleur est si accablante qu’il faut véritablement, pour être dehors, ne pas pouvoir faire autrement. Le délinquant lui-même ne peut s’empêcher de s’arrêter un instant, à chaque tour de promenade, quand il arrive à l’ombre des grands ormeaux qui s’élèvent devant l’Académie. Aussi est-il justement étonné de voir poindre tout à coup, au bout de l’avenue, une jeune fille qui, seule, se dirige vers lui, en robe blanche, avec une ombrelle doublée de bleu.

Tout en poursuivant sa promenade solitaire il murmure entre ses dents :

« Il faut vraiment avoir bien envie de se promener, pour sortir par ce soleil-ci ! »

En arrivant au terme de sa course, l’infortuné planton peut constater que la jeune fille approche.

Il ralentit le pas, s’arrête un instant, puis tourne sur ses talons, et reprend sa marche en sens inverse, comme s’il n’avait pas remarqué la gracieuse apparition qui s’avance vers lui.

Celle-ci n’en continue pas moins de suivre-son chemin derrière le jeune homme, et, en le voyant marquer le pas avec une régularité automatique, elle ne peut s’empêcher de murmurer :

« Le pauvre garçon !… S’il est permis de lui faire faire un pareil service !… Ce devrait être défendu !… »

De nouveau il a fait demi-tour, et maintenant il revient vers elle. Mais ses yeux sont fixés droit devant lui, comme s’il ne voulait pas voir le regard compatissant et le sourire amical qu’elle lui adresse.

« Il est fâché, se dit-elle, et il a ma foi bien raison. Mais c’est à moi de lui faire mes excuses… »

Et tout aussitôt, d’une petite voix douce :

« Monsieur Armstrong ! dit-elle, monsieur Armstrong ! »

Le cadet a tressailli et regardé de son côté. Un instant il oublie de se tenir au port d’arme et marche comme un mortel ordinaire. Mais presque aussitôt, reprenant possession de lui-même et se redressant :

« Il est défendu de parler sous les armes ! dit-il. Oh ! c’est vous, miss Nettie Dashwood.