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CONCLUSION


Nous ne suivrons pas davantage nos voyageurs dans les détails de leur fuite. Ils passèrent la nuit au milieu de la forêt. Nuit réparatrice dont Francesca elles deux jeunes gens avaient grand besoin. Il faut dire, du reste, qu’autant Ludwig et Cypriano avaient été inquiets dans leur première expédition, autant, dans celle qui avait pour but leur retour, ils se montraient confiants et rassurés. Il ne leur paraissait pas possible qu’après leur avoir rendu Francesca par une succession d’événenements si extraordinaires, Dieu voulût les abandonner alors qu’ils approchaient du but.

Au bout de trois jours, après des épreuves dont les plus inquiétantes furent pour eux la difficulté de trouver à se nourrir, le gibier s’étant assez rarement montré à portée de leurs armes (ils avaient dû se contenter le premier jour d’un armandillo dont Cypriano était parvenu à s’emparer et que Gaspardo avait fait rôtir dans sa carapace, et le second d’un tamanoir que Ludwig avait abattu d’un coup de sa carabine, mets peu savoureux, mais dont les tranches grillées suffirent néanmoins à réparer leurs forces), après trois jours, disons-nous, ils parvinrent sur la rive d’un fleuve, dans lequel Gaspardo retrouva une ancienne connaissance. C’était une branche du Pilcomayo. En le reconnaissant, le gaucho ne put retenir un cri de joie. Il était enfin dans un pays connu et il se disait que, sauf des éventualités peu probables, quelques jours de marche suffiraient à les ramener à l’estancia de son ancien maître. Grâce à Dieu, il pouvait donc espérer de remettre Francesca entre les mains de sa mère. Il ne rapportait pas la joie à cette veuve désolée ; mais, en lui rendant l’enfant qu’elle avait cru perdue, en lui remettant sains et saufs Ludwig et Cypriano qu’elle avait confiés à sa garde, le brave homme se rendait le témoignage qu’il donnait à sa chère maîtresse les seules consolations qui pussent l’aider à supporter la vie. Il se sentait heureux et fier aussi do pouvoir se dire, en pensant à celui qui n’était plus, qu’il avait fait pour le maître, pour l’ami mort, tout ce que le plus fidèle serviteur et le cœur le plus dévoué eussent pu accomplir pour lui alors qu’il vivait.

Dieu fut miséricordieux. Il réunit enfin ceux qui avaient été séparés. C’était bien l’estancia qui était sous leurs yeux, et, sous la véranda où l’épouse avait attendu autrefois son mari et sa fille, elle attendait encore. Bientôt Francesca, Ludwig et Cypriano se précipitèrent dans les bras de la pauvre mère. Après les premières ivresses du retour, chacun se retournant sembla se dire qu’il manquait à cette fête quelqu’un qui ne pouvait pas être oublié. Où donc était celui qui avait été pour chacun d’eux une providence dans cette double expédition ? où donc était le gaucho ? Le brave et rude homme était resté à quelques pas de la véranda, adossé à un arbre, le visage caché dans ses mains : de grosses larmes coulaient entre ses doigts. Ce fut la petite main de Francesca qui le força à les montrer, ces larmes dont il n’avait certes pas à rougir.

La senora Halberger, mise au courant en peu de mots de tout ce qu’il avait fait pour ses enfants, était descendue des marches du perron.

« Je ne puis vous remercier, lui dit-elle, mon ami, qu’en vous serrant, moi aussi, sur mon cœur, et qu’en vous disant que, pour les enfants comme pour moi, vous êtes désormais plus, sinon mieux qu’un ami ; vous êtes un parent. Gaspardo, vous faites à jamais partie, non plus de la maison, mais de la famille. »

Pour cette fois, le brave gaucho ne put y tenir. Il se mit à pleurer et à sangloter comme un enfant. Cette joie, dont l’explosion ressemblait à une douleur, avait mouillé tous les yeux.

Quand il se fut remis, le gaucho, tout rougissant encore, demanda à la senora Halberger la permission d’émettre un dernier avis,