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de cent mètres, quand le gaucho s’arrêta court en faisant signe aux autres de l’imiter.

Se dressant sur ses étriers, Gaspardo examinait minutieusement le bord de la lagune, comme s’il cherchait un endroit pour aborder. Mais telle n’était point son intention, car après quelques secondes d’examen, il tourna au contraire son cheval vers la gauche et commença, ainsi que ses compagnons, à s’avancer en suivant parallèlement le bord.

Le gaucho conserva la même direction pendant près d’un mille, sans prononcer un mot, dirigeant toujours sa course d’après les inflexions du rivage, qui maintenant devenait de plus en plus distinct. Il cheminait aussi rapidement que possible et jetait parfois un regard inquiet derrière lui. En revanche, ses oreilles étaient toujours en alerte ; parfois il croyait entendre au loin les cris des sauvages Indiens.

Enfin il sembla penser qu’il avait assez obliqué, et, tirant la bride de son cheval, il le fit arrêter. L’animal restait immobile avec de l’eau jusqu’aux jarrets. Descendant alors silencieusement de sa selle, Gaspardo passa la bride à Cypriano, en lui recommandant de la tenir ferme et d’empêcher son cheval de le suivre.

Ceci fait, il alla auprès de ses jeunes amis, leur demanda leurs ponchos et leurs caronas, qu’il déposa sur le bord en les y étendant comme des tapis, les uns après les autres, au grand étonnement des jeunes gens et de Francesca, qui se demandaient si Gaspardo pensait à donner une fête, ou s’il croyait la terre nue indigne de les porter.

Mais ils ne restèrent pas longtemps en suspens.

Le gaucho reprit son cheval des mains de Cypriano et le conduisit sur la route ainsi tapissée, en veillant attentivement à ce qu’il ne mît pas les sabots par terre. Ce n’est pas tout ; une fois là, il se mit en mesure d’envelopper chacun des pieds de sa monture dans des morceaux de jergas et de caronillas, et les fixa en guise de bottines avec des cordes, à chacune de ses jambes ; puis, ayant renouvelé avec un sang-froid exemplaire cette opération au profit des autres chevaux, il les conduisit l’un après l’autre au delà de la garniture des ponchos et des caronas.

Rassemblant alors ses tapis, et montrant la forêt à ses amis :

« Quand nous serons là, après ces précautions prises, dit-il, nous commencerons à respirer. Bien fins seront les Indiens s’ils retrouvent notre piste. »

Nous savons par le récit qui a précédé que toutes ces précautions étaient superflues.