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bien au delà de la portée de sa vue, mais il lui était impossible de dire réellement quelle étendue de pays elle couvrait. C’était l’une de ces lagunes herbeuses appelées cienegas, que l’on trouve fréquemment au milieu des pampas, et surtout dans le Gran Chaco.

Tout dépendait pourtant de l’étendue de cette lagune. Ils ne l’avaient point rencontrée en allant vers la ville des Tovas, car ils avaient alors suivi la piste de la troupe d’Aguara, mais dans cette obscurité, dans leur hâte de s’enfuir, ils n’avaient point songé à reprendre la même route, et peut-être s’en étaient-ils écartés de plusieurs milles.

Cet obstacle inattendu mettait à une rude épreuve le sang-froid du gaucho. Si on le tournait, c’était une perte de temps des plus dangereuses. Il n’y avait pas à hésiter ; il fallait le franchir. Il tira sa montre de sa poche.

« L’aube va se faire dans quelques instants, dit-il, attendons là ; un peu de repos ne fera pas de mal à nos montures, et il faut voir clair pour la besogne que cette rencontre nous apprête. »

Une lueur blafarde illuminait déjà l’horizon à l’est, et annonçait le prochain lever du jour. Elle leur montra un spectacle plus désespérant encore qu’ils ne l’avaient pensé : la cienega était si large qu’il leur eût été impossible de la tourner, à moins de faire un immense circuit.

« Carrai ! murmura le gaucho entre ses dents, ce maudit marais est un véritable lac. Le voilà qui tourne du mauvais côté, comme s’il voulait nous ramener entre les griffes de ceux qui nous poursuivent. »

Tout en parlant, les yeux de Gaspardo tombèrent sur la surface de l’eau, miroitant à la douteuse clarté de l’aube.

Une pensée jaillit dans son esprit, et il laissa échapper une exclamation d’espoir.

Pendant que les chevaux buvaient, il avait remarqué que le fond de la lagune était solide sous leurs pieds, et il savait que ce caractère était assez commun dans ces réservoirs de la pampa. Celui qu’ils avaient devant leurs yeux pouvait être peu profond, et dans ce cas, pourquoi ne le traverseraient-ils pas ?

Il ne perdit pas de temps à réfléchir ; faisant face à la cienega, il dit à ses compagnons de le suivre, et entra résolument dans l’eau.


CHAPITRE XXII
UNE PISTE ADROITEMENT DISSIMULÉE


Ils avancèrent d’abord doucement, le gaucho à une bonne distance en avant, sondant la route et dirigeant ses compagnons.

Bientôt la surface de l’eau se découvrit davantage ; les joncs devenaient moins épais et encombraient moins la lagune.

Au bout d’un certain temps, ils se virent au milieu d’une eau claire et libre de végétation, mais cependant peu profonde et recouvrant un terrain solide. Leurs chevaux marchaient avec assurance, comme s’ils sentaient qu’il n’y avait point de vase et par conséquent pas de danger d’enfoncer.

La lueur de l’aurore à l’horizon était encore très légère, mais sa clarté était suffisante pour leur montrer la nappe d’eau s’étendant à environ un mille devant eux jusqu’au point où une ligne plus sombre leur indiquait que la terre sèche recommençait. Gaspardo était rassuré. La cienega n’était qu’une inondation, causée peut-être par la tormenta récente. Il était plus que probable qu’elle ne serait nulle part assez profonde pour être dangereuse.

Ils continuèrent ainsi en ligne directe vers le bord opposé, et en étaient arrivés à moins