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vengeance, et, se mettant à leur tête, ils parcoururent en tous sens les rues de la tolderia. Shebotha marchait à ses côtés, racontant l’évasion. Valdez était devenu le centre d’un groupe, et ce n’était pas le moins animé.

En moins de temps qu’il n’en eût fallu à la plus habile cavalerie du monde, ces centaures de la pampa sud-américaine avaient rassemblé leurs chevaux et se tenaient prêts à partir. Shehotha devait servir de guide. L’espoir d’une revanche doublait l’activité de l’affreuse créature. D’une voix stridente, elle proclamait la honte qui rejaillirait sur la tribu tout entière pour s’être laissée duper aussi aisément, pour n’avoir pas su garder une enfant.

Valdez expliquait que le succès ne pouvait être douteux. Shebotha avait nommé les sauveurs de Francesca. Deux adolescents et un homme seul, embarrassés dans leur marche par une jeune Fille, n’étaient pas pour faire reculer les Tovas. Au lieu d’un prisonnier, on en ramènerait quatre.

Sous cette impulsion, enflammés par leurs chefs, les plus jeunes parmi les guerriers galopaient déjà autour de la montagne des morts dans l’espoir de couper aux fugitifs le chemin de la plaine. Shehotha, montée sur un cheval à moitié sauvage, courait en avant.

Aguara avait rassemblé une centaine de lances ; c’était sa troupe d’expédition. Il en avait pris la tête. Au moment où cette troupe allait franchir les limites de la ville, on aurait pu voir une figure sombre, celle d’une jeune femme, qui coupait au court et se glissait au milieu des arbres. Un jeune Indien, armé, la suivait.

Les deux jeunes gens s’arrêtèrent un instant. Ils examinèrent en silence le terrain. C’était une gorge étroite, par laquelle la troupe commandée par Aguara devait passer bientôt ; le lieu était propice à leur dessein.

L’Indien se mit en embuscade derrière un rocher, dont la cime dominait le passage. La jeune fille monta lentement sur cette cime et s’y tint immobile comme une statue.

Aucune parole n’avait été échangée entre eux. Un quart d’heure se passa, après lequel le bruit encore confus que fait le galop lointain d’une troupe de cavaliers se fit entendre. La figure d’en haut, pas plus que celle d’en bas, ne parurent s’en émouvoir. Aucun geste ne donna à penser que le bruit fût parvenu jusqu’à eux.

Le bruit se rapprocha. La gorge, trop étroite, ne permettait plus, sans doute, aux chevaux de galoper. Les chevaux avaient pris le pas, et l’on comprenait même, au son de leur allure, que déjà le défilé avait dû commencer. C’était le pas régulier et monotone de chevaux qui se suivent dans un sentier resserré.

Bientôt un cavalier apparut. À ses insignes, à sa mine hautaine, on distinguait en lui le chef même de la troupe. C’était Aguara. Il allait dépasser le rocher où se tenait dans l’ombre le jeune Indien, que nous avons signalé tout à l’heure. On vit soudain un second cavalier s’élancer sur le cheval d’Aguara. Un éclair brilla, la lueur d’un poignard, et Aguara tomba, précipité comme une masse sous les pas de son cheval, qui avait changé de cavalier.

Cependant l’animal, éperonné violemment sans doute, s’était jeté, par un sursaut rapide de quelques pas en avant, par-dessus le cadavre de son maître. La gorge, élargie en cet endroit, avait permis à son nouveau cavalier de lui faire faire volte-face… La lance d’Aguara était dans ses mains. Il fondit comme-un vautour sur le second cavalier, à qui la configuration du chemin avait à peine permis de voir ce qui se passait, et lui enfonça sa lance dans la poitrine.

Aguara n’était plus, et le meurtrier d’Halberger, Valdez, venait de recevoir le châtiment de son crime…

La nouvelle passa, rapide comme la pensée, du troisième cavalier jusqu’au dernier. La troupe tout entière s’était arrêtée, ne sachant combien d’ennemis elle avait à combattre. Elle n’en avait qu’un, mais ses deux cbefs étaient morts, et le jeune Indien qui revenait vers eux était le plus redouté et jusque-là le plus respecté des guerriers de la tribu : c’était le frère de Nacéna.

Sur son ordre, ils passèrent tous le défilé. Les ayant fait ranger en cercle autour de lui, il leur dit qu’il avait vengé à la fois l’honneur de sa sœur trahie par Aguara, et celui de toutes les femmes de la tribu, pour lesquelles la recherche d’une femme au visage pâle par Aguara était un outrage irrémissible. Il ajouta qu’en mettant Valdez à mort, il avait fait justice du meurtrier d’Halberger, l’ami de leur grand chef, leur hôte à tous autrefois, d’un traître, d’un renégat, dont la présence et dont l’exemple était un opprobre pour la tribu tout entière. Il ajouta qu’il en appelait au conseil des vieillards de la justice de sa cause, et qu’il s’en remettait au jugement public.