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une voix fraîche et jeune, une voix qu’il leur eût été impossible de ne pas reconnaître entre toutes, se fit entendre.

« Dieu soit loué ! s’écrièrent-ils en se jetant dans les bras l’un de l’autre, c’est la voix de Francesca ! »

Il n’y avait point de doute à conserver. Nacéna ramenait loyalement la prisonnière.

Le bouillant Paraguayen voulait descendre le sentier et courir à leur rencontre. Ludwig, plus sage, l’arrêta, et, en y réfléchissant, Cypriano reconnut l’imprudence de cette action. Une rencontre trop soudaine, au milieu de ce sentier couvert de l’ombre épaisse des arbres, pouvait effrayer Francesca et lui faire jeter un cri. Sa conductrice lui avait certainement dit où elle devait les retrouver. Il valait mieux ne rien changer à ce qui avait été convenu. Dans un moment, Francesca serait près d’eux.

Elle arriva, non pas près d’eux seulement, mais bientôt dans les bras de son frère Ludwig et dans ceux de son cousin Cypriano. Trois noms étaient sur leurs lèvres, accompagnés de mots de tendresse : « Francesca — Ludwig — Cypriano… » Et celui de Gaspardo ne tarda pas à s’y joindre lorsqu’ils se furent rapprochés de l’endroit où le brave gaucho faisait sentinelle.

Nacéna regardait sans prononcer une parole, ainsi que Shebotha dont le silence était forcé. L’Indienne ne semblait pas mécontente de son succès, la sorcière était dévorée de douleur et brûlait de tous les feux de la vengeance.

On se félicita à la hâte, il n’y avait pas de temps à perdre.

Le gaucho était impatient de partir ; le matin approchait, et, le soleil une fois levé, ils n’oseraient plus se remettre en route. Les pentes de la montagne seules étaient boisées. La plaine qu’ils avaient traversée en approchant de la ville des Tovas était presque sans arbres ; il n’y croissait que quelques bouquets de palmiers entre les tiges grêles desquels il n’y avait point de taillis pouvant les cacher aux yeux des Indiens qui ne manqueraient pas de les poursuivre, du moins c’était à craindre.

Au lever du jour rien ne décèlerait plus leur marche. Gaspardo et ses jeunes compagnons le savaient ; ils étaient bien décidés, s’il était possible, à franchir la plaine avant l’aurore. Le fait d’avoir laissé la captive à peu près seule pendant la nuit permettait de supposer qu’on ne découvrirait pas son absence avant le matin.

« Mais Shebotha, dit Cypriano, qu’allons-nous en faire ? Si nous la laissons ici, elle ne manquera pas de donner l’éveil aux Indiens.

— Supposez-vous donc, dit naïvement Ludwig, que payée comme elle l’a été, et après ses serments, elle soit capable de nous trahir ?

— Non seulement je le suppose, s’écria le gaucho, mais j’en suis certain. Les précautions que nous avons été obligés de prendre pour nous assurer son silence — ce bâillon et ces cordes — elle ne nous les pardonnera pas. Regardez donc ses yeux, mon enfant, du reste, ajouta-t-il, sans s’expliquer davantage, je m’arrangerai pour que nous n’ayons rien à craindre d’elle.

— Mais, au moins, dit Cypriano, vous ne doutez pas de Nacéna.

— Je réponds d’elle, dit Francesca en embrassant la jeune fille.

— Je ne doute pas de ses intentions, reprit Gaspardo. Mais, une fois que nous serons partis, la vieille diablesse reprendra son empire sur elle. Elle la menacera, elle la dénoncera à Aguara ; qui sait si la pauvre enfant sera désormais en sûreté parmi les siens et s’il ne serait pas plus sage à elle de fuir avec nous ? En apprenant ce qu’elle a fait pour vous, Francesca, votre mère lui ouvrirait ses bras comme à une seconde fille.

— C’est vrai, » dirent les deux jeunes gens.

Francesca prit Nacéna à part. Un dialogue rapide s’engagea entre elles.

« Elle ne veut pas, dit-elle, et elle a raison ; elle ne veut abandonner ni ses parents ni sa tribu. Elle ajoute d’ailleurs que, si nos soupçons sur les méchantes intentions de la sorcière sont fondés, il est bon qu’elle reste pour pouvoir leur opposer son influence et celle de son père et empêcher que nous ne soyons poursuivis.

— Tout cela est bien sans doute, dit le gaucho — mais… — mais à parler net, le plus sûr serait de prendre ces deux femmes avec nous au moins pendant la première journée de notre marche. Si vous connaissez un procédé plus doux et aussi sûr pour nous assurer leur silence, dites-le.

— Je ne laisserai pas faire violence à Nacéna, répondit Francesca en passant son bras autour de la taille de la jeune Indienne. Il ne sera pas dit qu’une chrétienne payera par la plus noire ingratitude le service que la fille des Tovas lui a rendu. »